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sympathiquement l’idée du désarmement ; mais nous nous opposerons avec la dernière énergie à la mise en pratique de cette idée, aussi longtemps que la Sécurité de notre pays restera incertaine et que les sentences arbitrales ne disposeront pas des sanctions ayant la force d’en imposer le respect ! » Tel est le langage dont ces Messieurs ne se départissent en aucune circonstance. Et à l’appui de ces déclarations qui puent à plein nez l’hypocrisie, ces tartufes continuent à garder des millions d’hommes sous les drapeaux et à jeter des milliards dans le gouffre des armements. Cette ignoble bouffonnerie ne peut être que le prologue de l’immonde tragédie que nous préparent, avec la complicité des Gouvernements à la merci de la Phynance, les aigrefins de la haute Banque et les flibustiers de la grande Industrie.

Notre génération vit une heure exceptionnellement grave : les excitations chauvines, les fanfaronnades patriotardes, les traités à réviser, la surpopulation, la course aux armements, les impérialismes déchaînés, les rivalités et convoitises qu’exaspère le besoin de conquérir le marché mondial, peuvent, d’un jour à l’autre, allumer l’incendie. La crise de chômage, crise d’une intensité exceptionnelle et d’une étendue sans précédent peut pousser les Maîtres de l’heure qui ont entre les mains les destinées humaines, vers une guerre de laquelle ils attendraient et la liquidation des stocks incalculables que le système de la rationalisation a accumulés aux quatre coins du globe et la liquidation du matériel humain qui surabonde (il est plus facile, plus expéditif et moins dispendieux, de faire tuer vingt-cinq millions de sans-travail, que de les nourrir). Folie, dira-t-on ? Sans doute ; mais cette démence criminelle ne l’emporte pas sur celle dont l’odieux, le révoltant spectacle est sous nos yeux et qui consiste à précipiter dans la mer, à détruire par le feu, à jeter dans les égouts et à laisser systématiquement pourrir des produits périssables dont on préfère priver les populations affamées plutôt que de diminuer ses profits. Pense-t-on que les bénéficiaires d’un régime social qui fatalise de telles monstruosités reculeraient devant cette autre monstruosité : la Guerre, si, pris d’affolement, saisis de panique, effrayés eux-mêmes par le cercle de feu dans lequel leur cupidité, leur imprévoyance et leur imbécillité les ont enfermés, ils n’entrevoyaient, à tort ou à raison, que ce moyen d’en sortir ? Je ne dis pas : « la guerre est à nos portes » ; mais, avec tous ceux qui ont les yeux ouverts sur les événements, en suivent le cours impétueux et gardent la maîtrise d’eux-mêmes au milieu de l’aveuglement général, je donne l’alarme, je sonne le tocsin. Je dis et je redis que le temps presse, qu’il ne faut plus attendre davantage, que demain il sera peut-être trop tard, qu’il est d’extrême urgence d’agir et d’agir vigoureusement. Je m’adresse à tous les pacifistes et je leur dis : « Voulez-vous, coûte que coûte, empêcher la guerre ? » Ils me répondent : « Oui ! » S’ils me demandent : « Le pouvons-nous ? » Je leur réponds : « Oui ! » De quelle façon ? Par quels moyens ? En un mot, que faire ? C’est ce qu’il me reste à exposer.



Avant d’aller plus loin, jetons un coup d’œil sur la route que nous venons de parcourir : le voyage se poursuivra et s’achèvera avec moins de fatigue.

Par des statistiques empruntées aux meilleures sources, j’ai rappelé les épouvantables conséquences de toute nature dues à l’état de guerre dans lequel les hommes ont vécu depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours. J’ai attiré l’attention sur celles infiniment plus désastreuses qu’entraînerait la guerre de demain. Et, par cette succession de tableaux et de chiffres, j’espère avoir inspiré le dégoût et la haine de ce

crime des crimes : la Guerre et avoir provoqué le désir fervent, l’amour passionné de la Paix.

Cela fait, j’ai démontré que la tâche qui réclame le plus impérieusement l’effort immédiat et vigoureux des pacifistes de l’heure actuelle consiste à empêcher la Guerre qui, sous la pression des circonstances que peuvent cyniquement exploiter les Puissances d’argent, peut s’abattre prochainement sur les Peuples. J’ai établi que l’unique moyen de barrer la route au fléau qui menace, c’est, par le Désarmement, la cessation aussi prompte que possible du régime de Paix armée, qui entretient entre les Peuples une atmosphère de méfiance et d’hostilité, en même temps qu’il met à la disposition des Gouvernements un appareil de force dont ils sont tentés de se servir. J’ai prouvé que le Désarmement général, simultané et contrôlé dont on parle dans les sphères officielles et dans les milieux parlementaires, exigerait un temps si long que le péril de guerre imminente qu’il faut à tout prix conjurer se transformerait presque immanquablement en réalité. Pour compléter cette étude, je n’ai plus qu’à exposer et justifier le moyen que je propose aux pacifistes de ce temps qui sont décidés à tout faire pour empêcher les fauteurs de guerre de mettre à exécution leurs sinistres desseins.

Le désarmement unilatéral et sans condition de réciprocité. — Le moyen d’empêcher les Gouvernements acculés à une impasse de tenter d’en sortir par la Guerre, c’est le Désarmement unilatéral, sans condition de réciprocité ; il n’y en a pas d’autre. Chaque État se déclare, en principe, prêt à désarmer… mais à la condition que tous les autres États en fassent autant et au même moment. La belle affaire ! Je ne sache pas qu’il y en ait un seul qui oserait dire aux autres : « Désarmez si bon vous semble ; mais ne comptez pas que je suivrai votre exemple. Quoi que vous décidiez et fassiez, moi, je reste armé ! » Au surplus, il serait impossible à un Gouvernement — quel qu’il soit et quel qu’en soit le chef : président, roi, empereur ou dictateur, de tenir un tel langage et de conformer sa conduite à une telle déclaration : ce Gouvernement ameuterait contre lui tout son peuple et susciterait la coalition, contre lui, de tous les autres. Toutefois, si tous les États sans exception, affirment à la face du Monde et solennellement qu’ils sont prêts à désarmer, aucun ne manifeste l’intention de joindre l’acte à la parole. Aucun ne prend sur lui de donner l’exemple ; en sorte que, dans ces conditions, un laps de temps fort long peut s’écouler avant que cette volonté de désarmement s’affirme autrement qu’en discours ; les Nations peuvent ainsi s’attendre les unes les autres pendant des dizaines d’années ; et pourtant le temps presse. L’idée s’impose, on le voit, que, en cette matière comme en toute autre, il est absolument nécessaire qu’une nation commence, qu’elle prenne l’initiative de désarmer, sans exiger des autres qu’elles fassent de même, sans attendre que les autres soient décidées et prêtes à le faire, fût-elle, cette nation, toute seule à désarmer, à assumer les responsabilités et à courir les risques que peut comporter une mesure aussi grave. Je pense que le plus élémentaire bon sens se range à cet avis et que ceux qui, sincèrement, loyalement et virilement, travaillent à prévenir le retour de l’épouvantable catastrophe estimeront avec moi que le désarmement que je propose est une nécessité.

J’insiste : s’il est acquis, en premier lieu, que le désarmement est absolument indispensable à l’établissement de la Paix — et je crois avoir surabondamment démontré cette nécessité que, au surplus, tous ceux qui ont étudié la question admettent ; — s’il est acquis, en second lieu, que le désarmement général, simultané et contrôlé ne peut se produire que dans un avenir indéterminé et, à coup sûr, encore fort éloigné — et je pense que cette affirmation ne soulève aucune