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PAI
1926

igeant de son Gouvernement qu’il imite la France : la volonté de Paix qui déjà emporte l’Humanité ne peut manquer d’être fortifiée et portée jusqu’à son comble, par l’annonce de l’événement que vous apprend ce Message.

Puisse cette volonté de Paix devenir rapidement irrésistible ! Alors, elle brisera tous les obstacles qui pourraient lui être opposés. Alors et alors seulement, le danger d’une guerre prochaine, dont la menace pèse sur le Monde, sera conjuré. Alors, et alors seulement, s’établira le règne indestructible de la Paix radieuse et féconde ! »

Il va de soi que les circonstances apporteront à ce texte les modifications qu’elles comporteront ; mais l’esprit de ce Manifeste pourra rester le même. Quelle émotion profonde, quelle impression sans précédent, quel frémissement inexprimable suscitera, d’un bout du monde à l’autre bout, un événement de cette nature et de cette importance !

Est-il exagéré de dire que ses répercussions seront incalculables, qu’il suscitera dans le monde entier une émotion à ce point puissante et profonde qu’elle portera un coup mortel à la mentalité de violence que des siècles de luttes guerrières ont déterminée ?

A l’étonnement, à l’admiration et à l’enthousiasme spontanés de la première heure, succèdera rapidement dans la conscience des peuples les plus fortement travaillés par la propagande pacifiste, la résolution consciente et réfléchie de suivre l’exemple. Partout les Forces de Guerre se trouveront affaiblies et partout seront raffermies et fortifiées celles de Paix. Qu’on y songe : c’est à la suite de la victoire des Prussiens sur les Autrichiens, (Sadowa, 3 juillet 1866) et quelques années plus tard, de la mise en pièces des armées françaises par les armées allemandes (1870-1871), que la puissance militaire de l’Empire d’Allemagne, se développant sans arrêt, contraignit — si l’on peut dire — les autres nations à accroître, de lustre en lustre, leurs effectifs et leurs armements. C’est l’exemple de l’Allemagne de plus en plus militarisée, appuyant son effort industriel et commerçant sur un appareil de conquête et d’extension toujours plus robuste et perfectionné. Qui a entraîné la vieille Europe et, de proche en proche, le monde capitaliste des autres continents sur la route des effectifs de plus en plus nombreux, des réserves de mieux en mieux préparées, des budgets de guerre constamment enflés, des armements toujours plus puissants et s’adaptant de mieux en mieux aux nécessités de l’offensive et de la défensive.

Oui : c’est à l’instigation de l’Empire Germanique et dans l’espoir de se garantir pour le mieux — ô mirage de la Sécurité ! — contre toute éventualité d’agression que, depuis une soixantaine d’années, chaque nation a cru devoir porter au maximum sa puissance militaire et que, chaque année, le monde qui se flatte d’être civilisé précipite follement dans l’abîme sans fond des budgets de guerre, des ressources, qui, présentement, se chiffrent par cent quatre milliards de francs. Pour ouvrir la voie à cette danse échevelée des milliards, il a suffi de l’exemple donné par une grande Puissance : l’Allemagne.

Eh bien ! J’ai la conviction, et tous ceux que n’aveugle pas le fanatisme chauvin partagent cette conviction, que l’exemple que donnerait aujourd’hui la France en se désarmant entraînerait promptement et de façon certaine toutes les autres Puissances dans la voie du même désarmement. Je suis persuadé que le Peuple de France ayant, par son attitude résolue, énergique et inflexible, imposé à son Gouvernement, sa volonté de Paix par le Désarmement immédiat et sans condition, les autres Peuples, pris d’une noble émulation, et qui ont besoin de paix autant que celui de France, exerceraient sur leurs Gouvernements respectifs la même irrésistible pression et obligeraient ceux-ci à désarmer sans

plus attendre. La certitude que j’exprime ici a pu être considérée, tout d’abord, comme la manifestation d’un optimisme de commande et sans mesure ; à l’heure actuelle, cette certitude est entrée dans un certain nombre d’esprits ; elle s’y est installée et n’en sortira plus. Plusieurs groupements pacifistes : les plus avancés, et les plus actifs, ont donné leur adhésion pleine et entière à la thèse que j’expose dans cette étude et aux conclusions d’ordre pratique qui en découlent. Toute cette partie de la population française qui est socialiste et même socialisante a adopté ces conclusions ; et si, pour des raisons politiques et de tactique électorale, les chefs de la Social-Démocratie française ne se prononcent pas, publiquement et franchement, en faveur du Désarmement unilatéral, presque tous les adhérents que compte le parti Socialiste sont acquis à la nécessité d’une telle mesure ; ils sont prêts à seconder tout mouvement dans ce sens et décidés à lui apporter l’appui de leur concours. Ce courant est si marqué au sein de ce parti que son Secrétaire Général, le député Paul Faure n’hésite pas à écrire : « Quand l’opinion publique sera convaincue que les prochains conflits ne laisseront rien à la surface du globe, tous ceux qui parleront de la Guerre seront regardés comme des fous. Sécurité d’abord, proclament de bien singuliers patriotes, avec des trémolos dans la voix qui sonnent faux comme des tambours crevés. Par la guerre, ce ne sera plus jamais la Sécurité. Qu’on se le dise ! Demandez-leur donc comment ils entendent empêcher 300 avions de venir, la même nuit, divisés en équipes, incendier Paris, Lille, Marseille, Lyon, Toulouse et Bordeaux — pour commencer — incendier les villes et anéantir tous les êtres vivants ! Sommes-nous prêts aux représailles ? demandent nos bonnets à poil. C’est à quoi on songe tout de suite, comme s’il s’agissait d’une partie de football ou d’un concours d’aviron. Nous pensons, nous, à autre chose : comment faire pour que ne soient pas détruites les capitales et les populations. Et nous avons choisi comme direction : le désarmement matériel et moral. » (Le Populaire, 20 janvier 1932).

Les organisations syndicales qui comptent actuellement plus d’un million de syndiqués sont, elles aussi, à peu près unanimement pour le Désarmement sans condition de réciprocité. Nous voici donc, dès maintenant, en présence d’une solution à laquelle se rallient, plus ou moins publiquement et explicitement, plusieurs centaines de milliers de personnes, peut-être pourrait-on dire, sans tomber dans l’exagération, deux millions de pacifistes. C’est une force ; elle n’en est qu’à ses débuts ; mais elle ne demande qu’à se développer et il dépend de ceux qui la constituent, que par leur zèle et leur activité, elle augmente promptement en étendue et en profondeur.

Quelque peu emporté par l’exaltation que soulève en moi cette espérance d’un grand pays comme la France donnant au Monde le merveilleux exemple d’un désarmement volontaire, face aux autres Puissances persistant à conserver et même à accroître leur appareil de Guerre, il m’est arrivé de m’écrier, en m’adressant parfois à d’immenses auditoires : « Le jour où la France se désarmera, seule et avant toutes les autres Nations, elle écrira la page la plus glorieuse, la plus féconde, la plus admirable, non seulement de son Histoire, mais encore de l’Histoire Universelle ! » Le plus souvent, cette déclaration fut accueillie par de frénétiques acclamations. Toutefois, il m’est arrivé de voir se dresser devant moi un super-patriote m’apostrophant à peu près en ces termes : « Monsieur, votre langage est celui d’un ennemi de la France. Je ne sais pas si, en donnant l’exemple du désarmement, la France écrirait, comme vous le dites, la plus admirable page de son histoire ; mais ce que je sais, ce dont je suis absolument certain, c’est que si la France commettait l’imprudence de se désarmer, cette page de son Histoire