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PAI
1929

pour le moindre ; et, ici, le moindre est incontestablement le Désarmement, l’invasion dût-elle s’en suivre.

Le Désarmement doit être imposé par le Peuple au Gouvernement. — Cette étude touche à sa fin. Pour la compléter, je dois préciser les moyens à employer pour imposer au Gouvernement de France le désarmement dont il est appelé à donner l’exemple.

J’ai dit plus haut que ce qui manque aux nombreuses ligues et associations pacifistes existantes, pour imprimer à leur effort l’élan nécessaire à chaque groupement et apporter à l’ensemble le lien indispensable à une action commune, c’est une sorte de boussole permettant à toutes ces ligues en général et à chacune en particulier, de s’orienter vers le même but et par la même route : la plus directe et la plus sûre. Eh bien ! Cette boussole, le désarmement unilatéral et sans condition la leur apporte. Ce désarmement est un programme clair et précis ; il est un but immédiat et déterminé ; il peut et doit servir de plateforme sur laquelle se mettront d’accord tous les pacifistes immuablement décidés à ne faire la guerre en aucun cas, ni directement ni indirectement. Sur ce programme, ce but et cette plateforme, il ne sera ni très long ni très difficile d’asseoir la fédération, nationale d’abord, internationale ensuite, des associations véritablement et foncièrement pacifistes. Le jour est proche où, désabusés par les pantalonnades et défaillances de la Société des Nations, les Peuples ne se feront plus la moindre illusion et refuseront de continuer à faire crédit aux professionnels de la Politique, de la Diplomatie, de l’Armée et de « l’Affairisme mondial » qui composent l’Assemblée de Genève. Le jour est proche où les esprits les moins ouverts, je dirai même les plus obtus, se rendront compte que le régime dit, bien à tort, « de la sécurité », loin de conduire les nations vers la Paix, les accule fatalement à la Guerre. Les événements s’ajoutent les uns aux autres, qui tuent chez tous les individus animés d’une volonté loyale et ferme de Paix toutes les espérances qu’avaient fait naître les Protocoles, les Pactes et les Conventions conclus ou à conclure. Grand déjà est le nombre de ceux qui sont convaincus que la Paix ne descendra pas des hauteurs dirigeantes, des altitudes gouvernementales et qu’elle ne peut sortir que des profondeurs de la masse populaire, pour qui l’état de guerre est une calamité et l’état de paix un besoin, une nécessité.

Le désarmement volontaire de la France sera le signal d’un enthousiasme délirant au sein de la population française et, chez les autres peuples, le point de départ d’une formidable poussée vers le même désarmement. Tous ceux et toutes celles en qui brille la flamme dévorante du véritable Pacifisme accourront de toutes parts, se rechercheront et s’assembleront en une innombrable multitude sous le signe du Désarmement à tout prix. Sous les formes les plus diverses et les plus efficientes : réunions, conférences, meetings, démonstrations sur la voie publique, journaux, affiches, tracts, brochures, manifestes, appels à l’opinion, la propagande s’organisera, toujours plus active et plus féconde en faveur du Désarmement. Des lèvres des apôtres de la Paix jailliront des harangues toujours plus enflammées, des sommations sans cesse plus pressantes, des mises en demeure de plus en plus impérieuses. Et la Cause magnifique que les militants plaideront ainsi répondra si exactement à la volonté de Paix qui sommeille au fond de tous les cœurs et au tréfonds de toutes les consciences, même de celles qui s’ignorent le plus, que le courant pacifiste, de plus en plus tumultueux, frémissant et passionné, deviendra vite puissant et, enfin, irrésistible.

Je ne pousse pas la naïveté jusqu’à croire que ces combattants de la Paix ne trouveront en face d’eux aucun adversaire. Non ; je ne suis pas candide à ce point. Je prévois, je sais, je suis certain que tous les

intérêts politiques et économiques auxquels la Paix armée et la Guerre sont ou paraissent être favorables mettront tout en œuvre pour s’opposer au pacifisme intégral dont je prône la croisade : leur propagande de désarmement : fausses nouvelles, informations tendancieuses, intimidations, ruses, manœuvres, chantages et perfidies, leur mauvaise foi ne reculera devant rien. Poursuites et condamnations ne seront certainement pas épargnées aux militants pacifistes les plus zélés et les plus en vue. Mais quand la répression s’abat sur un mouvement ayant atteint certaines proportions, elle ne fait qu’accroître la puissance de ce mouvement (voir Répression), elle est le coup de fouet dont le cinglement active, précipite et porte à son maximum la vitesse du coursier qui se hâte vers le but et ne se laisse abattre par aucun obstacle. Les premières difficultés que tout mouvement rencontre à sa naissance sont d’ores et déjà vaincues. Le mouvement pacifiste n’en est qu’à ses débuts ; il s’est quelque peu laissé assoupir au ronronnement des berceuses que chantonnaient autour de son berceau les hypocrites fauteurs de guerre et les faux artisans de la Paix. L’enfant a grandi ; il devient robuste et courageux, entreprenant et audacieux. Hier encore, il ignorait la voie qu’il devait suivre : on en ouvrait devant lui tant et de si attirantes ! Aujourd’hui, après de multiples tâtonnements et toute une série d’essais dont, à l’expérience, il a constaté l’erreur ou l’insuffisance, il a trouvé sa voie. Cette voie, c’est celle du Désarmement hic et nunc ; il s’y est vaillamment engagé. Impatient d’aboutir, ayant conscience du danger dont tout retard sème sa route, plaçant tous ses espoirs et toute sa confiance dans la puissance de l’exemplarité, il demande le Désarmement ; demain il l’exigera ; sous peu, s’il le veut résolument, il pourra l’imposer. Il sait qu’il ne doit avoir confiance qu’en lui-même, il sait que seul il est de taille à briser toutes les résistances ; il engage la lutte. Ce lutteur vigoureux, combatif, ardent, tenace, c’est le Peuple pacifiste ; hier encore, faible comme un enfant, aujourd’hui fort comme un adulte ; demain, athlète magnifique. Les pessimistes et les découragés estimeront que je me laisse emporter sur les ailes d’un lyrisme téméraire et sans consistance. Eh bien ! Qu’ils prennent la peine de réfléchir ; qu’ils comparent la masse incalculable de ceux et de celles qui, appelés à subir toutes les désastreuses conséquences de la Guerre, sans avoir, quelle que soit l’issue de celle-ci, le moindre espoir d’en retirer le plus mince avantage, à la dérisoire minorité de ceux et de celles qui, confiants dans la situation qu’ils occupent et les moyens dont ils disposent, ont ou croient avoir quelque chance de sauver leur carcasse et de recueillir les fruits de la victoire. Cette simple comparaison suffira largement à les édifier.

Vainement me dira-t-on que cette comparaison ne prouve rien en faveur de ma thèse, puisque la même disproportion entre les profiteurs possibles et les victimes certaines de la guerre existait hier comme elle existe aujourd’hui et qu’elle n’a pas empêché, il y a 16 à 17 ans, les masses destinées à l’immolation de se ruer vers la frontière. A mon tour de répondre que les événements ont modifié du tout au tout l’état d’esprit de la masse. Qu’on relise la partie de cette étude qui (pages 1913-14-15 et 16) a pour titre : « Vers la Paix ». Cette lecture ruinera le rapprochement qu’on serait tenté d’établir entre deux dates : 1914 et 1932 qui, bien que fort rapprochées, sont séparées par des circonstances qui ont creusé entre elles un véritable abîme. Pour ne pas triompher trop facilement, je veux bien reconnaître que si, par malheur, la guerre maudite éclatait brutalement et par surprise à l’heure où nous sommes, un certain nombre et même, probablement, beaucoup de pacifistes se laisseraient entraîner vers l’abattoir ; n’ai-je pas dit, au surplus, que cette guerre prendrait, dès la première heure, un tel caractère d’extermination et de désastre, qu’il n’y aurait possibilité