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À Travers l’Inde en Automobile


JUNAGHAD, 20 DÉCEMBRE.


D’une des fenêtres de la villa que le Nabab met à la disposition de ses hôtes, j’aperçois à travers un treillis de fleurs grimpantes Junaghad, le vieux fort, la ville des jolies légendes, dominée par la masse rugueuse du Girnar, la montagne qui efface les péchés et rassasie les désirs.

La brume du matin enveloppe encore les sommets les plus élevés, consacrés à Kali, la mère sanglante ; à Durga, la déesse pacifique ; à Goraknai, ce demi-dieu mystérieux sorti des flots ; mais le soleil fait déjà resplendir les toitures, les murs blancs des temples situés à mi-côte.

Il est grand temps de commencer l’ascension des monts sacrés et de nous mêler à la foule des pèlerins qui guettent l’ouverture des portes de la cité menant au bienheureux pèlerinage.

Au sortir de la ville, nous suivons un pittoresque chemin qui se déroule en lacets poussiéreux, sous les manguiers, les bois de crategus, aux feuilles rougeoyantes et fanées. Peu à peu, la vallée se rétrécit, la colline déborde, les blocs ronds et plats de rocs gigantesques surplombent la route.

Ils semblent retenus, comme par miracle, sur les lianes des escarpements, l’on est tenté de ne pas bouger, de respirer à peine afin de ne point rompre l’équilibre qui les maintient grandioses et menaçants au-dessus de nos têtes.

La roche gravée des édits du roi Boudhiste Asoka, par lesquels il enjoint à ses sujets la construction de caravansérails, la charité, la justice, l’humanité, précède le Damodar Kund, grand temple dédié à Krisna, élevé pour commémorer le fait de force physique attribué à ce jeune dieu, lorsqu’à l’âge de huit mois sa mère, pour l’immobiliser pendant qu’elle lavait, l’attacha à une roue de moulin-mortier, il tira avec une telle énergie sur cette étrange lisière placée entre deux arbres qu’il les déracina.

Un pont jeté sur un torrent qui sautille et murmure au fond d’un ravin, conduit au sanctuaire, dont les coupoles se reflètent dans l’eau verte et glacée d’un lac, formé par l’évasement du courant.

Des Brahmes y accomplissent leurs devoirs religieux quotidiens : ils entrent dans l’eau, s’aspergent des deux mains, debout sur un pied, l’index et le pouce joints, ils se touchent le front, s’assoient, se tiennent l’orteil, tendent les paumes des mains ouvertes vers le soleil sacré.

Le temps est doux, le soleil légèrement voilé ; des lézards, des écureuils gambadent entre les pierres disjointes des piles funé-