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vj PRÉFACE.


graphe des caractères, qui ne représentent plus le même son ? Pourquoi écrire François, Anglois, etc. comme Chinois, Danois, etc. tandis que ces mots se prononcent si diféremment ? Pourquoi ne pas écrire les premiers avec un ai, puisque ces deux lettres sont consacrées dans notre Langue, pour exprimer le son de l'è, que la prononciation fait entendre dans ces mots et dans un si grand nombre d'aûtres de cette espèce ?

De tout temps, le plus grand nombre des Gramairiens ont fait des vœux pour voir simplifier notre ortographe, et pour la voir débarrassée des superfluités, qui la surchargent, et des inconséquences, qui la déshonôrent. Plusieurs même ont fait des tentatives en ce genre, qui n'ont pas toujours été heureûses ; mais qui ne laissent pas d'avoir ouvert et débarrassé en partie la route, que doivent suivre leurs successeurs. Sans parler d'une foule d'Aventuriers, Auteurs sans aveu, qui se sont rendus ridicules, en s'érigeant en Réformateurs de la Langue, et qui ont fortifié le préjugé favorable à l'anciène ortographe par l'excès de leurs innovations, plusieurs Auteurs estimables, chacun dans leur genre, ont proposé, ou même exécuté des réformes raisonables ; Ramus, sous François I. et Henri II. Malherbe, sous Henri IV. Louis XIII. ; sous Louis XIV. Richelet, dont le Dictionaire serait encôre très-utile, si l'on n'avait à lui reprocher que son ortographe ; dans ce siècle, l'Ab. de St. Pierre ([1]), La Touche, le P. Buffier, l'Ab. Girard, Voltaire, Duclos, du Marsais, etc. M. de Wailli, etc. Pour l'illustre Abbé d'Olivet, sans s'expliquer aussi ouvertement, il semble aprouver, au moins en partie, la nouvelle ortographe, en la prédisant. ([2])

Les changemens dans l'ortographe, quelque raisonables qu'ils puissent être, ont toujours trouvé, et trouveront toujours des contradicteurs. Il est aisé d'en imaginer la raison. Presque tous les hommes sont d'habitude, et les Savans, les Gens de lettres peut-être encôre plus que le peuple. On ne veut pas, à un certain âge, aprendre de nouveau à lire et à écrire, et surtout à recevoir des leçons de ceux qu'on regarde comme fort au dessous de soi. On se prévient dabord et l'on condamne, sans se doner même la peine d'examiner. = On pourrait dire : “ Ce qui ne me convient point, peut convenir à d'aûtres : ce qui m'est inutile à moi, qui sais parfaitement ma Langue, peut être utile au grand nombre, qui ne la sait qu'imparfaitement. Je suis trop vieux pour changer : que les jeunes gens adoptent la nouvelle ortographe, je le troûve fort bon : pour moi je garderai ma vieille pratique avec ses défauts. ” = Mais on craint d'être entraîné par la foule ; ou de faire bande à part désagréablement. = Il est un autre principe plus caché de cette oposition à des nouveautés utiles, et qui échape à ceux-mêmes, qui s'en laissent prévenir. C'est qu'en prenant la prononciation pour mesûre et pour règle de l'ortographe, il faudra faire un peu plus d'atention, en écrivant, à la manière dont les mots se prononcent : il faudra se rafraichir la mémoire de bien des chôses qu'on a oubliées, ou réduire en principes ce qu'on n'a jamais su que par routine. Au lieu qu'en

  1. (*) Dans un Discours, lu à l'Académie Française et inséré dans son Histoire, il dit : « Nous avons grand intérêt à rendre notre Langue plus facile à lire et à écrire, le plus exactement qu'il est possible, soit par les enfans, soit par les femmes, soit par les étrangers ; et présentement dans les Provinces les plus éloignées de la Capitale, et dans les siècles futurs, par toutes les espèces de Lecteurs. — Il n'y a que deux règles à suivre pour la bonne ortographe d'une Langue. La première, qu'il y ait précisément autant de voyelles écrites que de prononcées. La deuxième, que l'on n'emploie jamais un caractère pour un aûtre. »
  2. (**) Après avoir loué l'Académie d'avoir, dans la troisième Édition de son Dictionaire, tenu un juste milieu, ne s'obstinant pas à vouloir conserver des lettres, dont on peut se pâsser, et que le Public a tout-à-fait rejetées, mais fuyant avec soin tous ces ridicules excès, où se portent l'inadvertance des Imprimeurs et la témérité de quelques Auteurs ; il finit par dire ; " Plus l'ortographe est menacée d'innovation, plus il devient essentiel de fixer, s'il se peut, la Prosodie.