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PRÉFACE. ix

remonté au principe, qui doit diriger dans l'emploi de cet accent. Je crois que le voici. L'e muet étant un son sourd et obtus, exige naturellement qu'on apuye sur la syllabe, qui le précède ; et cela est si vrai que, ne pouvant changer la natûre de l'e du féminin des Adjectifs et des Participes, terminés en é fermé (aimé, aimée, rusé, rusée, etc.) on fait du moins cet e long pour doner un apui plus solide à cet e muet ; et l'on exige que la rime soit riche, pour fortifier cet apui par la consone, qui précède l'é fermé : renomée, aimée. Ce qui confirme cette réflexion c'est que dans les verbes, dont la pénultième est un e muet, cet e se change en e un peu ouvert devant la syllabe féminine, jeter, je jette ou jète ; je jetterai ou jèterai, etc. apeler, j'apelle, j'apellerai, ou apèle, apèlerai, etc. cela étant ainsi, tout e, qui précède l'e muet, est ou fort ouvert, comme dans conquête, ou moyen et un peu ouvert, comme dans belle, zèle, prophète, lumière, etc. L'é fermé ne donerait pas à cet e muet un apui assez fort. -- D'où l'on peut tirer cette règle générale, que : ” Tout e qui précède l'e muet, et qui n'est pas ouvert et long, ” est un è moyen et doit être marqué de l'accent grâve. ([1])

Prononciation

II. La Prononciation est une chôse, qu'on ne peut bien montrer que de vive voix, et bien aprendre que par un long usage. En tâchant de la peindre à l'oeuil, nous n'avons prétendu que dégrôssir cette partie, et faire éviter les faûtes les plus grossières et les plus sensibles. Nous avons borné notre travail (en répétant les mots entre deux crochets) à suprimer les lettres, qui ne se prononcent pas ; à mettre un équivalent aux diphtongues, plus raproché de la Prononciation ; à substituer, aux caractères de l'Ortographe, d'aûtres caractères moins équivoques ; enfin à mettre entre deux tirets, ou divisions, les assemblages de voyelles, qui ne forment qu'une seule syllabe. Ainsi, dans Accablement, par exemple, un des deux cc ne se prononçant pas, non plus que le t final, en se prononçant comme an et c comme k, nous écrivons entre deux crochets [akâbleman]. Dans Accéder, les deux cc se prononcent, le 1er. comme k, le 2d. comme un c doux ou une s forte, l'r est muette et l'e, qui la précéde, est fermé : nous écrivons donc [akcédé, ou aksédé]. Dans Croire, oi a le son d'oa dans la Prononciation soutenûe, et (suivant plusieurs) d'è dans le discours familier : en répétant ce mot, nous écrivons donc [croâ-re ou crère]. Dans Accoutumer, ou ne forme qu'une syllabe : nous l'avons donc mis entre deux tirets, ou divisions [A-kou-tumé]. = Il est aussi beaucoup d'accens, qui se prononcent et ne s'écrivent pas : en répétant le mot en italique, nous avons marqué ces accens. Agreste, Aigrette, Alerte, Abbesse, Admettre, Aisselle, en sont des exemples. Nous écrivons entre deux crochets [agrèste, égrète, alèrte, abèce, admètre, écèle] en avertissant quand l'è est ouvert, comme dans le 3e., et quand il est moyen, comme dans les aûtres. = Pour les règles générales de la Prononciation, on les trouvera au comencement de chaque lettre, avec leurs exceptions. Voy. dans ce Volume, A, B, C, D.


Prosodie.

III. Malgré l'excellent Traité de la Prosodie Française, par M. l'Abbé d'Olivet, bien des gens ignôrent encôre si notre Langue a une Prosodie ([2]). Plusieurs observent, en parlant, les longues et les brèves ; mais sans trop savoir pourquoi, et n'étant guidés

  1. (*) Nous nous sommes un peu plus étendus sur cet article, parce que c'est la partie la plus critique de notre travail.
  2. (**) Un homme de Lettres, assurément très-estimable, dans une Lettre qu'il m'a fait l'honneur de m'écrire, surpris de voir dans le Prospectus de ce Dictionaire, les mots faûte, encôre, aûtre etc. marqués d'un accent circonflexe, me demande sérieusement si je suis bien assuré de ne mettre cet accent que sur des voyelles longues. A ce moment, il avait oublié sans doute qu'il existe un Traité de Prosodie, qui m'a servi de guide et de garant dans le Dictionaire Gramatical, et qui m'en servira dans ce Dictionaire ; ou bien, cet Homme de Lettres, qui sait tant de chôses, ignôre celle-là.