Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/22

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France et oublié de l’Allemagne. Depuis que l’empereur Henri IV, en route pour Canossa, avait été obligé de céder la « seigneurerie de Bugey » avec la Bresse à son beau-frère Amé de Maurienne, comte de Savoie, pour acheter le passage des Alpes, ces deux petites provinces, que l’histoire confond autant que la géographie les oppose, continuent à vivre sous la suzeraineté longtemps nominale de la Savoie, comme elles avaient vécu sous celle du royaume de Bourgogne, de leur vie propre, toute faite de querelles, de guerres et de violences. — Le Bugey surtout, territoire annexé plutôt qu’incorporé, restait profondément divisé : il semble que telle ait été sa destinée depuis la conquête romaine. Au temps de César, il était partagé entre trois races gauloises ; il l’est encore, quatorze siècles plus tard, entre trois maisons féodales. « Cette province toute petite, dit un de ses historiens, malgré ses limites naturelles, compte autant de maîtres à elle seule que toutes les autres provinces du royaume démembré[1]. »

De son histoire un seul grand fait se dégage à travers les siècles : c’est l’interminable lutte de deux puissances rivales qui, en se disputant le pays, écrasent le paysan : les couvents d’une part, les seigneurs de l’autre, — les couvents, c’est-à-dire les anciens maîtres, en possession d’état séculaire, dont les droits n’ont d’autres limites que celles de leur avidité ; les seigneurs, fils ou petits-fils de brigands heureux, tirant leurs titres de la force, doublement acceptés par le pauvre peuple, d’abord parce qu’ils sont forts, ensuite parce que leur intérêt sera tôt ou tard de réprimer les exigences des moines. Telle est en raccourci l’histoire du Bugey ; la longue suite de guerres locales qui en forme la trame continue, et par endroits inextricable, ne varie que par les alternatives de succès et de revers qui ne sont jamais définitifs.

Dans cette mêlée, le bourg de Saint-Martin-du-Fresne reparaît souvent, jouant un rôle actif depuis le XIIe siècle jusqu’au XVIe. Les manants de Saint-Martin étaient les plus proches voisins de la puissante abbaye de Nantua, ancien couvent

  1. Guillemot, Monographie historique de Bugey, p. 75.