Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/46

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souvent cherchée, je désire qu’on m’appelle de mon nom de famille Castellion. Je n’ignore pas que quelques-uns pourront s’emparer de cet aveu de ma faute pour me la reprocher. Qu’importe ? Cette humiliation même est profitable, à moi d’abord dont l’esprit a besoin d’être abaissé autant qu’il avait voulu s’élever, et aux autres qui, instruits par mon exemple, apprendront à ne plus s’exposer en s’élevant ainsi à tomber de plus haut. Je sais en effet combien c’est là une maladie commune, surtout chez les gens de lettres, et combien peu s’en aperçoivent. Puisse cette leçon pénétrer bien avant dans leurs cœurs[1].

De cette naïve et noble confession, sur laquelle nous aurons à revenir, nous ne voulons tirer pour le moment qu’un complément d’information biographique.

C’est sous le nom de « Castalion », c’est parmi les lettrés qui entourent le collège et surtout parmi les amis des lettres grecques, plus rares que les latinistes, qu’il faut chercher notre jeune héros à Lyon entre 1535 et 1540.

Est-il besoin de dire que nous ne le chercherons dans aucun des cercles brillants du monde lyonnais, ni chez le cardinal de Tournon, ni dans les salons du gouverneur Pompone de Trivulce, ou du lieutenant général Jean de Peyrat, ni dans ceux d’Antoine de Gondi qu’un ami de Castalion, plus sensible aux vanités mondaines, Eustorg de Beaulieu, nous décrira plus tard comme le rendez-vous de toutes les illustrations ?

Il ne se trouvera pas non plus dans l’entourage immédiat d’aucun des princes des lettres que Lyon possédait. Le grand hébraïsant Sanctes Pagnini était mort en 1536. Symphorien Champier, le grand échevin, le fondateur du collège de médecine, l’inépuisable et universel écrivain, transition vivante du moyen âge à la Renaissance, achevait obscurément une existence qui avait eu des moments de gloire (1539). Rabelais, Marot, Bonaventure des Périers[2] que notre étudiant a pu rencontrer, ne fût-ce que chez l’imprimeur Gryphe, ne l’ont certainement pas remarqué ! Il n’a pu voir ni Jean Second, puisque le poète des Baisers venait de mourir (1536), ni celle qui allait bientôt s’appeler la Belle Cordière, puisque Louise Labé était encore une enfant, ni Pernette du Guillet plus jeune encore.

  1. Defensio, p. 355-57.
  2. Réfugié à Lyon en 1538 pendant que la Sorbonne condamnait l’imprimeur du Cymbalum mundi. (Voir la note, p. 46.)