Page:Ferdinand Buisson - Sébastien Castellion - Tome 1.djvu/60

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42 sumsrnzx casrnnniom. une so1·te d’étrange fatalité, dans un temps propice a toutes les libertés, dans une société lettrée, indulgente a tous les écarts de la parole et de la pensée, prompte a excuser Marot, Rabelais, Despériers et tant d’autres, Étienne Doletr seul a. eu contre lui, sa vie durant, comme une conspiration «l’antipathies préconcues. Avant qu’il parle, on l’a déja con- damné. Il semble prédestiné a la calomnie : si absurde soit- elle, elle a toujours prise sur lui. Qu’on l’accuse d’avoi,r volé les manuscrits de son maitre Simon de 'Villeneuve, ou bien de vivre sans foi ni loi, qu’on lui reproche des barbarismes ou le meurtre d’un homme, qu’on l’appelle impie, épicurien, athée, il y a sur tous ces griefs comme une opinion préétablie qui lui donne tort. Des qu’iI s’a,git de lui, les esprits les plus réservés d’habitude manquent de réserve; les plus disposés ai se défie1· des mauvais bruits les accueillent sans contrôle, ' les plus généreux hésitent a le défendre, et cela non pas seulement apres sa mort, quand. son nom sera devenu un épouvantail, mais de son vivant et des sa jeunesse. Il y a la un phénomène historique que les biographes n`ont pas expli- qué, et qui mérite peut—etre l’attention des moralistes. Est—ce la persistance d`une de ces premieres impressions dont l’opinion publique, une fois frappée, ne se défait plus? _ Faut—il croire qu’i1 était entré dans la vie avec trop de fracas par ees deux fameuses harangues de Toulouse ou tout en- semble il protestait avec toute la fougue de ses vingt-quatre _ ans contre le supplice du luthérien Jean de Caturce, flagellait la<< barbarie >> des « furies de Toulouse >>,raillait sans ména- gement les superstitions catholiques « dignes des Turcs », traitait aussi dédaigneusement les nouveautes luthériennes, ` et se présentait lui—meme ouvertement comme le disciple de la Renaissance italienne, Hdele a l`esprit de l’université de Padoue, c`est—a—dire en somme au pur paganisme? ' ` Faudrait-il attribuer cette, méfiance qui l’acconipagne ou pluto}; qui le précède partout ·a un mot d’ordre donné d’avance, a une propagande habilement organisee d’unc main sûre pa1· la plus implacable des inimitiés? Quoi qu`il en soit, un homme qui débutait· sous le coup de ' ‘ préventions si graves, n’en aurait pu triompher qu’a force