Page:Ferry - Discours et opinions, tome 1.djvu/294

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progrès des temps. Il n’y a pas bien longtemps encore que, dans ce pays de France, la richesse conférait des droits exceptionnels. La possession de la terre, au siècle dernier, n’avait pas cessé d’être la source du pouvoir social, du droit public ; certaines propriétés conféraient certains droits, et le premier de tous, le droit de rendre la justice, comme à l’heure présente, dans cette libre et grande Angleterre, la fonction de juge de paix reste encore le monopole exclusif des propriétaires du sol : ainsi, chez nous, au siècle dernier, et surtout deux ou trois siècles avant, la possession de la terre conférait les droits de haute et basse justice.

Cet état de choses a disparu ; la Révolution a passé sur ces outrages à la conscience humaine ; mais, un peu plus tard, et plusieurs de ceux qui sont ici peuvent s’en souvenir, – la possession de la terre, la jouissance d’un certain capital entraînait encore un privilège : le droit de voter, le droit de contribuer à la formation des pouvoirs publics ; cela subsistait encore, il y a vingt ans ; ces temps sont loin, heureusement ! (Applaudissements).

Il n’y a pas jusqu’au droit de travailler, le plus essentiel de tous les droits, qui ne fût aussi, il y a quatre-vingts ans, en quelque manière, un privilège de la naissance ; les métiers étaient organisés en corporations ; les corporations se recrutaient dans des conditions déterminées ; les fils de maîtres avaient un droit personnel d’antériorité, de préférence, sur ceux qui avaient eu le malheur de naître en dehors des cadres de la corporation ; la Révolution arriva et balaya cette iniquité, ce privilège de la naissance, comme elle avait fait disparaître les autres privilèges et les autres iniquités.

En somme, voilà les deux grandes conquêtes de ce siècle : la liberté du travail et le suffrage universel ; désormais, ni le droit de travailler, ni le droit de voter, c’est-à-dire de contribuer à la formation des pouvoirs publics, ne sont plus attachés au hasard de la naissance : ils sont le patrimoine de tout homme venant en ce monde. (Vifs applaudissements.)

Cela étant, notre siècle peut se dire à lui-même qu’il est un grand siècle. J’entends souvent parler de la décadence du temps présent ; je vous l’avoue, messieurs, je suis rebattu de ces jérémiades, et j’ai d’ailleurs remarqué depuis longtemps que cette