Page:Ferry - Discours et opinions, tome 1.djvu/297

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Voilà la grande distinction entre les sociétés démocratiques et celles qui ne le sont pas. Ce que j’appelle le commandement démocratique ne consiste donc plus dans la distinction de l’inférieur et du supérieur ; il n’y a plus ni inférieur ni supérieur ; il y a deux hommes égaux qui contractent ensemble, et alors, dans le maître et dans le serviteur, vous n’apercevez plus que deux contractants ayant chacun leurs droits précis, limités et prévus ; chacun leurs devoirs, et, par conséquent, chacun leur dignité. (Applaudissements répétés.)

Voilà ce que doit être un jour la société moderne ; mais, – et c’est ainsi que je reviens à mon sujet, – pour que ces mœurs égales dont nous apercevons l’aurore, s’établissent, pour que la réforme démocratique se propage dans le monde, quelle est la première condition ? C’est qu’une certaine éducation soit donnée à celui qu’on appelait autrefois un inférieur, à celui qu’on appelle encore un ouvrier, de façon à lui inspirer ou à lui rendre le sentiment de sa dignité ; et, puisque c’est un contrat qui règle les positions respectives, il faut au moins qu’il puisse être compris des deux parties. (Nombreux applaudissements.)

Enfin, dans une société qui s’est donné pour tâche de fonder la liberté, il y a une grande nécessité de supprimer les distinctions de classes. Je vous le demande, de bonne foi, à vous tous qui êtes ici et qui avez reçu des degrés d’éducation divers, je vous demande si, en réalité, dans la société actuelle, il n’y a plus de distinction de classes ? Je dis qu’il en existe encore ; il y en a une qui est fondamentale, et d’autant plus difficile à déraciner que c’est la distinction entre ceux qui ont reçu l’éducation et ceux qui ne l’ont point reçue. Or, messieurs, je vous défie de faire jamais de ces deux classes une nation égalitaire, une nation animée de cet esprit d’ensemble et de cette confraternité d’idées qui font la force des vraies démocraties, si, entre ces deux classes, il n’y a pas eu le premier rapprochement, la première fusion qui résulte du mélange des riches et des pauvres sur les bancs de quelque école. (Applaudissements )

L’antiquité l’avait compris et les républiques antiques posaient en principe que, pour les enfants des pauvres et pour les enfants des riches, il ne devait y avoir qu’un même mode d’éducation. La société antique, excessive en toutes choses et facilement oppressive, parce qu’elle se confinait en général dans les murs