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« Le peuple le plus riche à l’autre prêtera ;
« Du reflet du premier le second s’empreindra,
« Et, dans ce cher échange et cette douce étude,
« D’un plus vaste horizon l’œil prendra l’habitude.
« En frottant sa pensée on fait surgir l’esprit :
« Une couleur nouvelle ornera chaque écrit ;
« Le langage qui reste en certaines contrées
« Comme une tache au sein des provinces lettrées,
« Ce langage, perdra jour par jour son vieux pli,
« Et le caillou grossier sera marbre poli.
« Tout deviendra meilleur ; tout sera plus fidèle ;
« L’artiste ira partout chercher son vrai modèle ;
« Il ne se pourra pas qu’en courant l’univers
« L’un n’arrache à la brise un nouvel et bon vers,
« L’autre un tableau plus vrai ; dans une telle course
« Le front se baigne d’air, l’œil vole à chaque source :
« Pour décrire une plaine, on foule son plateau ;
« Pour faire une légende, on va voir le château ;
« Pour parler d’un pays à peuplade inconnue,
« D’un saut chez l’indigène on a fait sa venue ;
« Veut-on un site neuf, on se trouve emporté
« Où le pinceau du peintre encor n’a pas été ;
« Si, peignant autrement, pour sa part de génie
« On sent rouler en soi de longs flots d’harmonie,
« On part pour l’oasis ou bien pour les déserts,
« Et l’on prend à ces lieux la couleur de ses airs,
« Si bien que poésie, et musique, et peinture
« Pourront à tout jamais refléter la nature. —
« C’est faire sur les ans resplendir un flambeau ; …
« Oui ; ce rapprochement des peuples est si beau !

« Voilà, bon Salomon, l’idéal de ton rêve.
« Tu ne le verras pas ; c’est moi qui te l’achève ;
« Mais, quand le monde entier recueillera ce fruit,
« Il bénira du cœur toi qui l’auras produit. »

Et, joignant ses deux mains, l’ange aussitôt s’arrête ;
Puis, montant, dans l’azur plonge sa belle tête.


IV.

récompense ! !…


Il laisse Salomon doucement endormi.
Mais le rêveur s’agite et s’éveille à demi.
Qu’a-t-il ? Il sent couler… je renonce à vous dire
Si ces pleurs sont pour lui la joie ou le martyre.
Comme avant son sommeil il se jette à genoux.
Chut ! plaisir ou douleur, respect, et taisons nous !
Laissons-le repasser tout ce qu’il vient d’entendre ;
À ces points fabuleux son esprit peut s’étendre…
Las ! ce bonheur encor sera-t-il assez grand
Pour le récompenser de son mal déchirant ! —
J’en doute ; … ce bonheur, quelque grand qu’il puisse être,
Ne l’empêchera pas de mourir à Bicêtre.

Oui, de Caux, oui, c’est là qu’on va te confiner !
À Bicêtre !… où les jours vont-ils se terminer ! !…
Malheureux inventeur ! Pauvre homme de génie !
Ton siècle est incrédule, et l’affreuse ironie
Prenant ta découverte en sa grande pité,
De ton esprit malade éteindra la moitié ;
Et toi, voyant mourir ton unique espérance,
Tu feras nuit complète, abattu de souffrance,