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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

signifie ici, non ce que tout le monde païen et philosophique appellerait, mais science théologique, théologie proprement dite, et nos adversaires se rendent coupables de perfidie littéraire quand ils nous opposent des citations comme celle-là.


Chapitre IV.

Dieu considéré comme Loi Morale.


Niez l’homme, et vous niez implicitement la religion. Elle ne veut point de cet être purement abstrait, infini, indéfini, universel et dépourvu de tout anthropomorphisme, dont le chap. III s’est occupé ; elle se détournerait de cet être qui lui dirait, à tout instant, de sa voix terrible : Homme, tu n’es rien. La religion est avec Luther, qui s’écrie : « Dieu n’est pas sérieusement en colère, même quand il a l’air de l’être (8, 208). » Cette grande colère divine, c’est un anthropomorphisme, c’est la manière allégorique dont on se représente l’indignité et la méchanceté humaines ; c’est encore Luther qui vous le dira : « Écoute, mon ami : là où tu vas placer mon Dieu, tu dois aussi placer l’homme (Liv. de la Concorde, 8). » Pour trouver la paix de Dieu, il faut absolument que ce Dieu soit essentiellement co-naturel avec nous, qu’il nous ressemble au fond. Longtemps déjà avant Luther, le chef des grands mystiques allemands, le moine Tauler, déclarait : « Chaque être ne saurait se reposer que dans l’élément, dans l’endroit d’où il est né ; or, c’est de Dieu que j’ai mon origine, c’est en lui et de lui que je suis né, Dieu, c’est ma vraie patrie, à moi. J’ai déjà préexisté Dieu avant en ma naissance terrestre (Sermons de quelques Maîtres, 1621, p. 81. Hambourg, en allem.) »

Ainsi, vous le voyez, un Dieu qui n’exprime que la raison, ne plaît point aux âmes religieuses. La raison s’intéresse pour tout, à tout, de tout ; elle fait de l’insecte le plus mesquin, d’une substance vile et abjecte un objet de ses recherches les plus scientifiques : elle en fait autant de l’homme, qui s’appelle l’image de Dieu. Combien de reproches les premiers chrétiens n’ont-ils pas fait aux païens, de s’occuper de l’univers au lieu du salut de l’âme ? Ce n’est