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QU’EST-CE QUE LA RELIGION

que la nature a existé avant moi. Cette préexistence de la nature, il faut l’avouer en toute modestie, est un fait tellement absolu qu’il n’a pas besoin de se faire expliquer par l’existence de l’homme, ni par des raisons péniblement inventées par notre intelligence. La théologie rationaliste a donc tort de mettre l’honneur de son Dieu surtout dans son existence indépendante de la pensée de l’homme, car une existence de cette sorte fut aussi celle de tous les dieux païens et des fétiches ; une existence indépendante de la pensée, serait en outre une existence quelque peu déraisonnable, comme par exemple jadis celle du dieu quadrupède et ruminant Apis.

Les qualités de Dieu qui font le caractère distinctif entre lui et l’homme sont originairement, au fond, les qualités de la nature : « saurais-tu, dit Dieu à Job, nouer le lien qui rattache les sept étoiles du nord ? saurais-tu délier le nœud de l’Orion ? saurais-tu lancer des éclairs afin qu’ils disent en sautant : nous voilà ? saurais-tu donner sa force au cheval ? est-ce que le vautour monte dans l’air par ton intelligence ? ton bras est-il égal à celui de Dieu et saurais-tu tonner avec une voix égale à la sienne ? » La puissance divine qui d’après ce passage biblique est infiniment supérieure à celle de l’homme, n’est rien autre chose que la nature. Socrate détestait la physique en disant que, même si nous savions l’origine de la pluie, nous resterions toujours incapables de la produire ; Socrate ne s’occupait strictement que des choses humaines ou morales qu’on peut produire à l’aide de la science. Eh bien, cette bizarrerie apparente du bon Socrate signifie : « humain est tout ce que l’homme peut faire, surhumain ou divin ce qu’il ne peut pas faire ; c’est comme les Indiens et les Cafres qui disaient aux missionnaires : nous croyons à une puissance invisible qui fait du bien et du mal, des orages, des ouragans, enfin tout ce que nous ne pouvons imiter ; pouvez-vous faire croître l’herbe ? non, il n’y a que le grand Manitou qui le peut. » C’est évidemment la force créatrice et destructrice de la nature. La bible dit : « une génération décède, une autre arrive, la terre reste. » Le Zendavesta[1] appelle le soleil et la lune les deux Immortels.

  1. Dans le système de Manichée, si calomnié par le rhétheur saint Augustin, où l’évangélisme se combine assez ingénieusement avec le platonisme, le magisme et le braminisme, le soleil et la lune sont les derniers du Fils de Dieu et d’une autre puissance divine de premier ordre. (Le traducteur.)