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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

traire ; cela veut dire, tu crois que tu es Dieu toi-même. « Dieu est tout-puissant, et un individu croyant, est lui-méme Dieu, » dit Luther (le Christ et l’Histoire universelle, p. 11, par Chr. Kapps) et XI. 161, il appelle la foi directement la Créatrice de Dieu. Luther ajoute en se reprenant : « Je veux dire que la foi crée Dieu en nous, et non qu’elle peut créer Dieu, cet Être divin et éternel ; » cette restriction n’appartient qu’au point de vue théologique de Luther, et ne contredit en rien notre thèse dialectique.

Dieu est regardé comme un être différent de l’homme ; mais c’est là une pure illusion, tandis que l’identité complète de ce Dieu et de ton être est déjà constatée par ton aveu que Dieu est un être pour toi.

La foi ne se borne pas à l’idée d’un univers, d’une nécessité d’une grande totalité dont l’homme n’est qu’une minime particule. Aux yeux de la foi il n’y a que Dieu, c’est la subjectivité sans bornes et sans limites. On peut dire quand le soleil de la foi religieuse se lève dans l’âme humaine, le soleil du monde existant va se coucher, ou plutôt il est déjà couché. La croyance à la destruction matérielle et prochaine d’un monde qui déplaît souverainement aux pieux désirs chrétiens, est par conséquent un phénomène psychologique qui, loin d’être paradoxal, est un signe intégrant de l’essence intrinsèque de la foi chrétienne. Vous ne pouvez le séparer des autres croyances chrétiennes, sans renier le christianisme et sans méconnaître le sens biblique de bien des passages. Ainsi saint Pierre (II, 3, 8) ne se prononce point contre une fin prochaine du monde : « Le ciel et la terre sont encore épargnés par la parole du Seigneur, afin qu’ils restent jusqu’aux flammes du jour où se fera le jugement et la condamnation des impies. » —  « Il faut cependant vous dire une chose, chers amis, c’est que devant le Seigneur un jour est comme mille années, et mille années sont un seul jour ; » car, comme d’après ce célèbre verset un seul jour est égal à mille années, l’univers pourra très bien s’écrouler dans vingt-quatre heures. Le Nouveau Testament, sans en préciser l’heure, s’attend à une fin très prochaine, cela ne saurait être nié que par un homme qui ne peut ou ne veut le lire (voyez les écrits de M. Lützelberger). Des chrétiens véritablement religieux ont donc toujours cru à la destruction prochaine : Luther aussi dit (XVI, 26) souvent que le dernier jour n’est plus loin ; d’autres,