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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

porte déjà en elle-même l’existence, et c’est surtout l’âme affective imbue d’une naïve religiosité, qui ne réfléchit pas abstraitement sur l’existence, mais qui saisit d’abord les qualités, et par là, implicitement aussi, l’existence de Dieu et de l’autre vie. Quand l’on croit sincèrement à cette autre vie, elle a par cela même les vives couleurs et les contours déterminés d’une chose réelle et le raisonnement du rationalisme, ou de l’irréligiosité honteuse devant elle-même, est illogique. Ce raisonnement se trompe en ce qu’il oublie l’identité du moi ; il oublie que l’individu humain ici-bas, et ce même individu là-haut, qui ne forment qu’un seul objet, doivent être, logiquement parlant, d’une seule substance, et que partant la vie d’outre-tombe ne saurait être voilée à mes yeux terrestres. Bien au contraire même, la vie de ce monde est la vie voilée, inconcevable, confuse, tandis que là-haut les masques sont tombés ; là-haut je suis ce que je suis en vérité. Ainsi, quand on dit : « Il y a une vie céleste, mais comment elle est, cela ne peut être compris par l’homme sur terre, » on débite un produit de ce septicisme religieux, qui se base sur la plus grande mésintelligence et ignorance en fait de religion. Ce triste scepticisme ignore complètement l’essence de la religion. Remarquez bien ce que la réflexion de cette sorte, la réflexion irréligieuse-religieuse, définit comme une idée imaginative d’une chose inconnue et certaine à la fois, Cela est primitivement, dans le vrai sens de la religion, la chose elle-même, l’essence elle-même, et nullement l’image de cette chose : ce scepticisme incrédule et crédule en même temps, met la chose, la vie céleste en doute, mais il est si lâche et si inconstant en fait de logique, qu’il n’ose en douter directement ; il élève seulement des doutes contre l’idée imaginative, l’image qu’on s’était faite de la vie céleste. En d’autres termes, ce scepticisme va jusqu’à dire : « Voilà une image et non une réalité, » — mais il ne pousse pas plus loin.

Du reste, quand une fois une brèche a été ouverte dans le mur d’images dont l’immortalité a été entourée, quand on a commencé à douter qu’on puisse exister là-haut comme la foi l’enseigne, sans corps matériel et sexuel, alors l’immortalité elle-même sera bientôt après attaquée à son tour. L’histoire de la chrétienté est là pour le constater. Détruisez l’image de la chose, et la chose est détruite à son tour, puisque cette prétendue image est la chose même.