Page:Feuerbach - Qu'est-ce que la religion ?,1850.pdf/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
323
L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

ma faute. La théologie est bien la grande fantasmologie, et Dieu y est le Démon comme le Démon y est Dieu. Pour moi, je préfère d’être un ange infernal allié avec la vérité, qu’un ange céleste allié avec le mensonge.

J’avais dit, que Dieu était ici le terme technique pour exprimer le bien qui, indépendamment de notre volonté, arrive de l’essence intérieure des choses ou du moi-même, bref, le bien en tant qu’il est inexplicable ; et que tout de même le Démon était ici le mal en tant qu’il ne dépend pas de notre volonté, en tant donc qu’il est inexplicable aussi. Le Démon est le mauvais Dieu, et Dieu est bon Démon, car ils sont d’une origine commune, et leur seule différence est dans leur qualité opposée. Renier le Démon, était donc un péché égal à celui de renier Dieu, l’athéisme et l’adémonisme étaient nécessairement deux crimes de lèse-majesté divine. Et en effet, aussitôt que nous commençons à expliquer dans le monde moral les phénomènes du mal sans les faire dériver d’un être personnel, du mal personnifié, nous ne nous abstiendrons non plus d’interpréter naturellement les phénomènes du bien et sans la supposition d’un être personnel ou du bien personnifié. Les résultats de cette rebellion de l’esprit humain contre le Démon sont les mêmes au fond, mais ils varient dans leurs formes pour la plupart on met le bon Dieu en retraite ou en état de disponibilité, on fait de lui un être tellement oisif et inactif, que son existence vaut autant que sa non-existence ; un être qui, loin d’exercer de l’influence sur la vie de l’homme et du monde, se trouve placé très tranquillement là-haut à la tête de l’univers comme cause première : Ab Jove principium. Quelquefois on parvient à croire à un Dieu autre que celui de la religion. De là il n’y a plus beaucoup de chemin à faire jusqu’à l’abolition intégrale de Dieu[1].

  1. « Quand une forme de la vie humanitaire décline, se fane et va disparaître pour toujours, dit Hégel, alors la philosophie saisit son pinceau et en peint un portrait gris en gris, » Si c’est là la tâche de la philosophie, celle de la critique dialectique doit consister à s’emparer de cet organisme dépérissant, d’en dresser scrupuleusement le procès-verbal anatomique, physiologique et pathologique. Il est pour cela nécessaire, application faite au cas actuel, d’avoir constamment devant les yeux l’histoire, ou plutôt la biographie, du christianisme. Il en résulte que le Démon s’y tient toujours à côté de Dieu, dont il est parfois l’alter ego, son remplaçant qu’il lâche comme un chien de