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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

l’imagination ; elle lui dicte ce qu’elle veut qu’il pense ; elle combine le naturel avec le surnaturel, le plus élevé avec le plus infime, le plus immédiat avec le plus éloigné, bref le divin avec l’humain ; la théologie nie donc la dissemblance de l’Homme et de Dieu. Gardez-vous toutefois de prendre au sérieux cette assertion, qui est comme toutes les autres assertions religieuses ; tournez la page, et vous trouverez une autre phrase dans laquelle la religion vous dit que Dieu diffère profondément, essentiellement de l’homme, et que tout objet, tout désir, tout mouvement, de Dieu est entièrement différent de l’analogue chez l’homme. Dieu n’engendre pas comme la nature organique ; quel blasphème, quel scandale, au moins, de se permettre seulement cette idée ! Dieu n’est donc point père, n’est donc point fils dans le sens que le langage des mortels a attribué depuis un temps immémorial à ces mots-là. Ne vous avisez non plus de demander : « Eh bien, comment donc Dieu est-il père et fils, s’il ne l’est pas de la manière humaine ? » car par cette question peu discrète vous prouveriez à la théologie votre irrévérence vis-à-vis d’un mystère dit incompréhensible, ineffable, profond ; tellement profond qu’on ne peut pas en voir le fond.

Vous voyez donc que la religion nie les choses naturelles et humaines ; mais après les avoir niées et foulées aux pieds, elle les relève et les place en Dieu, tout en y perpétuant la contradiction dans laquelle elles sont désormais avec l’essence de l’homme ; puisqu’elles sont désormais censées signifier en Dieu autre chose que sur terre.

La création miraculeuse du monde de rien, c’est le grand mot de la théologie, elle s’y résume toute et entière : « Quelque chose vient de rien, quelque chose retournera à rien, » voilà le hocus pocus qu’elle se permet, dans son infatigable insolence, de jouer devant les yeux de la raison même. Et remarquez qu’elle joint à ceci un autre mot, moins grandiose par la forme, mais aussi puissant par son influence logique et psychologique : « Dieu est une personnalité, » dit-elle, et avec ce coup de baguette elle transforme la subjectivité en objectivité, et l’idéalité en réalité. Otez, pour en faire la contre-épreuve, ôtez à ce Dieu personnel sa personnalité, et toutes ses qualités humaines exagérées, tous ses attributs humains élargis, dont on l’avait paré, se réduiront sur-le-champ à leur véritable nature : au lieu de l’être ineffable, du Dieu transcendant, vous aurez l’être de l’Homme idéalisé