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L’ESSENCE DU CHRISTIANISME

Maintenant nous allons comprendre sans difficulté la différence zwinglienne. Le réformateur helvétique qui dit : « L’Eucharistie n’a de la signification que pour l’individu croyant, » est au fond d’accord avec le réformateur allemand (« le sauvage Saxon, » comme il se vit obligé d’appeler Luther) et avec l’Église romaine ; tous disent que l’hostie est autre chose pour les yeux et autre chose pour l’âme croyante. Mais Zwingli détruisit sans pitié l’illusion charmante que l’imagination religieuse s’était faite, et qu’elle maintient dans le luthérianisme comme dans le catholicisme. Le mot est, dans la célèbre phrase ceci est mon corps, est lui-même une illusion qui, pour ainsi dire, s’imagine de n’être pas illusoire. Les autres disent d’une manière détournée, indirecte, mystique, ce que Zwingli avance hardiment et nettement. Les autres disent : « Hujus sacramenti effectus, quem in anima operatur digne sumentis, est adunatio hominis ad Christum (Concilium Florentin. de S. Euchar.), » ils disent que l’effet salutaire de l’Eucharistie ne dépend que de la dévotion avec laquelle on aborde la sainte Cène ; ils disent que le pain et le vin ne sont de la chair et du sang que pour un individu qui croit qu’il en est ainsi. Zwingli a dit la même chose, d’une manière rationaliste, prosaïque, simple, et c’est pour avoir eu cette insolence logique que les autres, tous, lui ont lancé leurs anathèmes.

Il est donc désormais constaté, par les témoignages de l’Église comme par la logique et la psychologie, que l’Eucharistie ne fait rien, c’est-à-dire qu’elle n’est rien, sans le sentiment, sans la conviction, sans la foi. Ce qui ne fait rien, n’existe pas. D’où il faut conclure que la réalité de l’Eucharistie n’est que dans la foi, dans la conviction, dans le sentiment. Toute cette scène se passe donc, nullement sur le sol de la réalité, mais dans les régions vagues et flottantes de l’imagination ou de l’âme affective. L’idée de Dieu le Christ renfermé dans l’hostie que je serre entre mes lèvres, est une idée édifiante, une idée qui, quand elle est prise au sérieux, plus que toute autre saisit le système nerveux, l’ébranle et le fait vibrer dans toute son étendue jusqu’au délire extatique ; mais remarquez que cette idée est un produit de l’âme affective, de cette même âme affective qui en est affectée au plus haut degré. Il arrive donc ici ce qui arrive à chaque pas dans la religion : le sujet religieux est affecté par lui-même comme par un objet extérieur ; et cette illusion