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a subi spontanément la grande Passion. Le catholicisme parle moins de ce but que du fait ou de l’objet ; il lui suffit de proclamer le sublime sacrifice du Christ, sans y ajouter que ce sacrifice a été consommé pour nous.

L’Église romaine, en mentionnant l’amour de Dieu qui seul a pu le pousser vers ce sacrifice, se sentit sans doute touchée, transportée, enthousiasmée par cette idée, mais elle n’en sut point tirer une vérité pratique. Bien loin de là, le catholicisme déduit de la Passion du Christ la nécessité pour les fidèles, de subir eux-mêmes une passion plus ou moins dure, et éminemment nécessaire pour arriver à la réconciliation avec Dieu et au bonheur céleste. Luther avait raison de protester contre cette déduction illogique, et de dire : « Si le Christ a souffert réellement pour l’homme, réellement — entendez-vous ? et non en comédie : alors l’homme n’a plus désormais à souffrir. » Tout ce que la souffrance humaine doit et peut effectuer, le Christ l’a déjà effectué ; si vous niez cela, dites plutôt que le Christ a souffert en vain. Vous n’hésiterez point, je crois, devant cette terrible alternative, et vous concéderez volontiers que le martyre du Christ a parfaitement réussi, parfaitement suffi, et que nous avons déjà souffert en lui, par lui. En agissant et souffrant pour les autres, nous leur épargnons précisément la peine de souffrir et d’agir. Et remarquez que cette toute-puissance divine sans bornes, n’est, pour ainsi dire, point autre chose que la nature générale du désir et de l’espérance. Le monde n’a point été à son commencement imparfait et souillé de taches, en sortant de la main de Dieu, l’univers était bon et pur ; ce n’est que l’influence de Satan ou du péché, ce qui revient théologiquement parlant au même, qui l’a bouleversé et sali. « Au paradis il n’y avait, dit Luther, ni des orties, ni des épines, ni des herbes vénéneuses, ni des bêtes dangereuses, mais bien des roses généreuses et magnifiques, des buissons parfumés, des fruits savoureux et salutaires. Après la chute d’Adam tout fut changé (VI, 64). »

La passion du Christ n’a de signification que dans son rapport avec l’homme, elle n’a eu lieu que dans le but de nous sauver. Admettez un moment que l’homme n’eût point existé, et toute possibilité de ce sacrifice divin cesse. Dieu a souffert pour nous, il a délivré, émancipé les hommes des liens de la souffrance. Luther sait d’ailleurs que le genre humain « dans la vallée des larmes »