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sères si nombreuses de la création, se voit forcée d’en appeler à la vie après la mort : « Si vous croyez qu’il y a un Dieu, vous en déduirez bientôt que cette vie terrestre ne vaut point grand'chose et qu’elle suppose une autre existence, une vie éternelle. Dieu ne fait pas, à ce qu’il paraît, grand cas de cette vie sublunaire ; il s’agit plutôt de la grande vie au-delà de notre tombe, et c’est là que les conseils de Dieu à l’égard de l’homme deviendront manifestes » (XV, 77, XVI, 90).

Dieu est un être qui veut le bien des hommes, qui est humainement, généreusement pensant ; on ne saurait montrer de la bienveillance envers une fleur, sans faire ce qu’elle exige, sans lui fournir tout ce qu’il lui faut de lumière, de chaleur, d’humidité, de terre ; si je la traitais selon mon plaisir et sans m’informer de sa nature, je la détruirais sous peu de temps. Dieu, pour remplir la volonté de l’homme, doit être regardé comme une personnalité humaine ou bonne ; l’homme est pour l’homme le plus grand bien, l’homme n’a, pour mesurer la bonté, point d’autre mesure que l’homme. La morale chrétienne dit, qu’il faut faire le bien à cause de Dieu ; la morale philosophique, qu’il faut le faire à cause du bien ; la morale humanitaire, qu’il faut le faire à cause de l’homme. Cette mesure, qui n’existe point par excellence dans le christianisme, est large et riche ; les végétaux, les animaux eux-mêmes sont renfermés jusqu’à un certain degré dans la généralité de cette mesure une chaleur absolument destructive pour l’homme, un froid absolument meurtrier pour l’homme n’épargnerait non plus les animaux et les plantes.

La certitude la plus complète de cette thèse, Dieu est un être bienveillant pour l’homme, vient évidemment de ce que Dieu s’est montré homme sous le corps humain du Christ ; sans cette forme humaine, avec chair et os, avec nerfs et entrailles, il eût été permis de douter de la bonté de Dieu ou, ce qui signifie autant, de sa sympathie pour le genre humain. Luther dit très bien (VII, 60) ; « Dieu, sans la chair, ce n’est rien » ou « Dieu, sans la chair, c’est une terrible image de la mort et de la colère » ; ce qui est parfaitement logique et psychologique, car le dieu sans forme charnelle est aussi le dieu contre la chair, le dieu ennemi de l’homme. Excluez de votre dieu la chair, et la chair ne sera rien devant lui, elle sera même une chose contraire à Dieu et partant infâme. C’est