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VIE D’ÉRASME.

velopper plus librement. La littérature savante commençait elle-même à se faire jour et à provoquer la curiosité publique. Robert Gaguin, général de l’Ordre des Mathurins, dans une harangue adressée au gouverneur de Paris, avait ouvertement rompu avec le style et la méthode scolastiques[1]. Quelques années plus tard (1502) allaient paraître les premiers livres imprimés par Henri Estienne Ier du nom[2]. Érasme put croire un instant qu’il allait trouver à Montaigu la studieuse retraite qui le fuyait toujours ; mais cet espoir fut encore déçu. Dans le colloque intitulé Ἰχθυοφαγία, Érasme nous a peint sous de bien sombres couleurs la vie de ce collége, où l’on montrait encore au xviiie siècle la chambrette qu’il avait occupée. Le principal, Jean Standonck, homme sans jugement et d’une inflexible dureté, avait affublé les écoliers d’un lourd capuchon qui les étouffait ; il les faisait coucher dans de misérables lits étendus sur un sol humide, rapprochés même des lieux les plus infects, et, pour mieux dompter la chair, il avait aboli tout usage de la viande. Les œufs étaient pourris, le vin gâté. Érasme assure que plusieurs écoliers moururent dévorés par la lèpre, que d’autres devinrent fous. Il demeura un an à peine à Montaigu, et, en le quittant, il en eût sans doute volontiers parlé comme Rabelais : « Si j’étais roi de Paris, le diable m’emporte si je ne mettais le feu dedans[3]. » Après un court voyage à Cambrai et en Hollande, il revint cependant à Paris, et

  1. Voy. sur cette harangue de 1481, qui fit grand bruit parce qu’elle « ne commençait plus par un texte, expliqué ensuite et commenté d’une manière scolastique, » Crévier, Hist. de l’Université, t. iv, p. 895.
  2. Essai sur Henri Estienne, par Léon Feugère, p. 7, réédité au t. ii des Caractères et portraits littéraires du xvie siècle. (2 vol. in-8o, 1859. Didier).
  3. Rabelais, édit. Burgand des Marets et Rathery (1857). t. i, p. 146.