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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

modèles, et comme ils venaient tous deux de s’essayer à rendre en français quelques parties de Virgile, elle les suit dans cette carrière, tout en s’excusant fort, par une modestie sincère ou affectée, de toute pensée de rivalité avec ces riches traductions, spécialement avec celle du cardinal, dont il lui semble que les vers ne peuvent manquer d’effacer les siens. Quoi qu’il en soit, du Perron ayant commencé la version du premier et du quatrième livre de l’Énéide, elle compléta, vers 1616, la traduction de l’un et de l’autre ; on lui dut de plus, par la suite, celle des second et sixième chants du même poëme. C’était dans celui-là qu’elle se portait pour rivale de Bertaut, non sans demander excuse « de ce qu’une quenouille attaquât une crosse, et une crosse de tant d’illustration. » Aussi, en entreprenant ces gestes d’amazone, avait-elle pris ce vers pour épigraphe : Audetque viris concurrere virgo ; ce qui rappelle l’éloge que, nous l’avons dit plus haut, lui donnait le jeune Heinsius.

C’est à l’illustrissime, ou, comme on parla depuis, à l’éminentissime cardinal du Perron qu’elle adresse sa traduction du premier livre, continuation de celle du prélat : elle dédie le quatrième livre au roi, qu’elle exhorte à provoquer, par ses récompenses, des travaux honorables pour les lettres françaises : surtout elle exprime le désir, « que nos souverains proposent des prix à des personnes de capacité connue, pour traduire à l’envi les plus dignes orateurs et poètes latins, en vue d’enrichir notre langue. » L’idée n’était pas mauvaise et méritait d’être accueillie par nos princes, ou,