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MADEMOISELLE DE GOURNAY.

l’éclatante beauté de l’original ne semble pas avoir été entièrement ternie[1] :


La nuit ouvrait son sein : les animaux et l’homme
S’enivraient, tous lassés, au doux oubli du somme…
Elle éclate en ces cris : Ah ! monarque du monde,
Il s’en va donc sans peine et sans crainte de toi :
Un étranger bafoue et mon royaume et moi !
Le poursuivrai-je point, ce perfide volage ?
Ne dois-je point armer pour courir au carnage ?
Dois-je pas envoyer navires et flambeaux,
Saccager et brûler ses corsaires vaisseaux ?
Des feux, peuple, des feux : matons cette insolence,
Tends les voiles au vent, que le rameur s’avance !
Que dis-je ? où suis-je, hélas ! quelle aveugle fureur
Te précipite, ô reine, en si profonde erreur ?
Pauvrette, il faut mourir : la sentence éternelle
De ton fatal destin au dernier jour t’appelle…
Voici doncques la main si saintement donnée,
Voici doncques la foi de ce fameux Énée,
Qu’on dit avoir sauvé ses domestiques dieux
Et chargé sur son cou le faix d’un père vieux.
Que n’ai-je par tronçons déchiré ce perfide,
Que n’ai-je des tronçons gorgé la mer avide,
Que n’ai-je, entre ses bras, Iule assassiné !…
Mais la victoire eût pu se tourner de sa part :
Et que m’importait-il d’affronter ce hasard ?
Quel sort eussé-je craint, de mourir désireuse ?…
Soleil, source du jour, qui sans fin tournoyant,
Vois les actes humains de ton œil flamboyant,
Vous, troupe des enfers, aux vengeances commise,
Et vous, les dieux plus chers de la mourante Élise,
Prenez pitié de moi, puissantes déités,
Exaucez ma prière et ma plainte écoutez…

  1. V. 522 et suiv.