Page:Feuillet Echec et mat.djvu/17

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LE DUC.

Allons, choisissez.

RIUBOS.

Tout bien pesé, Excellence, je vous demanderai le chapitre où je traite des mœurs conjugales de Sa Majesté.

LE DUC.

Voilà, mon capitaine. Votre serviteur.

RIUBOS.

Maudit soit le jour où le diable m’inspira cette manie littéraire !

LE DUC.

Allons ! allons ! ne dites pas de mal de votre collaborateur.

(Le rideau tombe.)

ACTE IV.

La nuit. Bougies sur les tables.


Scène I.

LA DUCHESSE entrant, LE ROI.
LE ROI.

C’est vous, madame, ce soir qui m’avez demandé une audience ?

LA DUCHESSE.

Oui, sire. On vient d’arrêter le duc ! Je l’ai vu sortir tout à l’heure du palais entouré d’une escorte ; le savez-vous, sire ?

LE ROI.

Oui, madame, mais je n’y puis rien ; le duc a eu le malheur de blesser, je ne sais quand, un familier de l’inquisition, l’inquisition le fait arrêter.

LA DUCHESSE, avec effroi.

L’inquisition !

LE ROI.

Eh là ! vous voilà toute tremblante ; vous l’aimez donc éperdument ce méchant duc, qui ne vous perd pas des yeux un seul instant, ce qui est insupportable, et qui, sans dire gare, vient se jeter a traverse, avant qu’on ait le loisir de vous dire que vous êtes belle ? Eh bien ! duchesse, puisque vous l’aimez si fort, causons de lui. Asseyons-nous et peut-être à nous deux trouverons-nous un moyen… (La duchesse s’assied, le roi se retourne pour chercher un autre fauteuil.)


Scène II.

L’HUISSIER, du fond, puis LA DUCHESSE, LE ROI, LE DUC.
L’HUISSIER

Son Excellence monseigneur le duc d’Albuquerque.

LE ROI.

Le duc !

LA DUCHESSE.

Mon mari !

LE ROI.

Comment ! c’est vous ?

LE DUC, entrant.

Sire, on m’a dit que vous aviez quelque inquiétude à propos d’un malentendu dont j’ai failli être victime tout à l’heure, et j’accourais pour rassurer Votre Majesté ainsi que la duchesse, et pour vous dire que vous n’avez point perdu votre serviteur.

LE ROI.

Nous nous en félicitons, cher duc, c’est fort heureux en vérité.

LA DUCHESSE.

Pour nous rassurer tout à fait, duc, ne pouvez-vous nous dire comment vous avez été arrêté ?

LE DUC.

Oh ! madame, il se fait bien tard pour un si long récit ; si le roi le permet, je vais avoir l’honneur de vous reconduire à votre palais de la rue d’Alcala, et je vous conterai la chose chemin faisant.

LE ROI, exaspéré, à part.

Il l’emmène maintenant. Par le ciel ! cela ne sera pas ! (Haut.) Un moment, cher duc, j’ai a vous parler d’affaires très-graves. La duchesse pendant ce temps ira prendre congé de la reine.

LE DUC.

Vous me retrouverez ici, madame. (Elle salue et se relire par la gauche.)


Scène III.

LE DUC, LE ROI.
LE ROI, à part, assis à la table de droite.

De quoi pourrais-je bien lui parler ?

LE DUC.

Me voici, sire, tout prêt à vous entendre.

LE ROI.

Savez-vous, duc, que je suis fort ennuyé ?

LE DUC.

En effet, sire, vous avez l’air soucieux.

LE ROI, après avoir cherché.

La question du Portugal me tourmente plus que vous ne pouvez imaginer.

LE DUC.

Il suffit d’être marié, sire, pour le comprendre.

LE ROI.

Comment cela ?

LE DUC.

Sire, la vice-royauté du Portugal ressemble à une belle femme étrangère qui aurait contracté avec le roi d’Espagne un mariage de raison, et qui serait fort courtisée par les gens de son pays. Or, si fidèles que soient en général les femmes et les vice-royautés, il n’en reste pas moins vrai, pour le malheur des maris et des rois, le proverbe qui dit : « Loin des yeux, loin du cœur. »

LE ROI, goguenard.

Vous me paraissez avoir étudié à fond la question du Portugal ?

LE DUC, de même.

Et celle du mariage, oui, sire.

LE ROI.

Mais, dans le cas dont il s’agit, je ne puis cependant faire que ma vice-royauté ne soit point éloignée de moi ?

LE DUC.

Sans doute, mais Votre Majesté pourrait se rapprocher de sa vice-royauté.

LE ROI.

Voulez-vous dire qu’il serait bon que je fisse un voyage à Lisbonne ? (Il se lève.)

LE DUC.

C’est mon humble opinion, sire.

LE ROI.

Bref, vous prétendez m’envoyer en Portugal ?

LE DUC.

Sire, je voudrais voir Votre Majesté partout où elle a de la gloire à conquérir et des royaumes à conserver.

LE ROI.

Mais je ne vois pas trop à quoi servirait ma présence là-bas ?

LE DUC.

Sire, elle donnerait d’abord un démenti aux malveillants qui osent accuser Votre Majesté d’indifférence pour les intérêts des braves commerçants de Lisbonne. Votre Majesté ferait venir ces braves gens, en appellerait deux ou trois par leur nom, et ils seraient transportés d’enthousiasme.

OLIVARES, entrant par le premier plan à droite, à part.

Albuquerque ici !

LE DUC.

Tenez, voici justement monsieur le comte-duc, qui sera de mon avis, j’en suis certain.


Scène IV.

D’ALBUQUERQUE, LE ROI, OLIVARES entrant par la gauche.
LE ROI, à part.

Olivares ! Dieu soil loué ! (Haut.) Comte-duc, savez-vous ce que me conseille Albuquerque ? il veut m’envoyer en Portugal tout vif.

OLIVARES.

Et qu’en pense le roi ?

LE ROI.

Eh mais ! je ne sais pas trop. Monsieur d’Albuquerque me donnait d’excellentes raisons ; il me disait des choses d’un grand sens. Mon cher duc, pour fixer mes idées, veuillez donc m’écrire tout cela en manière de plan. Quelques lignes seulement sur l’avantage de ma présence dans ma vice-royauté de Portugal.

LE DUC.

Mais, sire, je vous jure, en vérité, que je n’ai là-dessus que des idées fort ordinaires.