Aller au contenu

Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 1, 1948.djvu/226

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Henriette. — Oh ! oui, tu es gentil, toi… et je veux tout ce que tu voudras. Eh bien ! quand ?

René. — Quand quoi ?

Henriette. — Quand veux-tu que nous nous mariions ?

René. — Ah ! dame, il faudra que nous en parlions à nos parents.

Henriette. — Oh ! non, nous leur dirons après !

René. — Pourquoi pas avant ?… ce serait plus convenable…

Henriette. — Oui, mais s’ils disent non ?

René. — Pourquoi veux-tu qu’ils disent non ? D’abord, moi, quand je suis sage, papa ne me refuse rien !

Henriette. — Je ne te dis pas ! mais moi je suis d’avis d’attendre que ce soit fait… et s’ils se fâchent, d’abord il sera trop tard ! Et puis nous répondrons que nous croyions le leur avoir dit !

René. — Ou plutôt que n’ayant pas osé leur dire, nous leur avons écrit… alors, qu’ils n’auront peut-être pas reçu la lettre !

Henriette. — C’est cela ! sur le dos de la poste !… v’lan !

René. — Ah oui, mais voilà ! M. le curé… et M. le maire !… ils connaissent papa… alors ils ne voudront peut-être pas…

Henriette. — Qu’est-ce que ça nous fait, M. le maire et M. le curé ?… marions-nous d’abord, nous leur dirons aussi après…

René. — Ah ! mais non, on se marie toujours devant M. le maire.

Henriette. — Ah ! ça, c’est parce qu’on veut bien ! il se marie bien sans nous lui !… nous pouvons en faire autant ! Nous n’avons qu’à faire mettre sur du papier : "J’ai l’honneur de vous faire part du mariage de René avec Henriette…" et ça suffira !

René. — Tu crois ?…

Henriette. — Mais oui ! Qu’est-ce que tu veux que ça fasse aux autres ? C’est nous qui nous marions, après tout ! ça n’est pas eux !

René. — C’est clair ! Ah ! par exemple, quand on doit s’épouser, on échange des bagues. Je te donne la mienne… tu me donnes la tienne. C’est ça qui fait le mariage…

Henriette. — Oui ?… Ah ! mais j’ai pas de bagues, moi.

René. — Ni moi non plus… (Frappé d’une idée.) Oh ! attends ! je sais où il y en a.

Il grimpe sur une chaise près de la fenêtre.

Henriette. — Eh bien ! qu’est-ce que tu fais ? Tu vas tomber.

René. — Laisse donc… je vais chercher des anneaux ! Il y en a aux rideaux !… (Descendant.) Là, en voilà deux ! Tant pis, je les ai arrachés !

Henriette. — Oh ! regarde donc… ils sont trop grands pour mon doigt.

René. — Tu mettras ça à ton pouce… Là, prends une bague et moi une autre… Et maintenant mettons-nous à genoux sur nos chaises comme à l’église.

Ils apportent tous deux, sur le devant de la scène, leurs chaises qu’ils placent sur le même plan, les dossiers face au public, et s’agenouillent.

Henriette. — Là, c’est-il comme ça ?

René. — Voilà ! Donne-moi ta bague… bien ! je te donne la mienne… très bien !… Eh bien ! voilà, nous sommes mariés…

Henriette. — Vraiment ! c’est pas plus difficile que ça ?