Page:Feydeau - Théâtre complet, volume 4, 1948.djvu/251

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Léonie, tout de suite irritée. — A boire !

Toudoux. — A boire, oui ! (Il se précipite vers la table à manger.)

Léonie. — Ce besoin de me faire répéter.

Toudoux. — C’est quand je n’ai pas bien entendu.

Léonie. — Oui ! oh ! tu as toujours de bonnes raisons !

Toudoux, lui tendant le verre. — Tiens !

Léonie. — Merci. (Portant le verre à ses lèvres.) Ah ! pffu ! mais c’est le verre dans lequel tu as bu !

Toudoux. — Hein ? Oui !… oui.

Léonie. — Mais il sent le fromage !

Toudoux. — Le ?… Ah ! c’est le macaroni !

Il va reporter le verre.

Léonie. — Ce que tu es empoté, mon pauvre ami !

Toudoux, revenant avec un autre verre et la carafe. — Qu’est-ce que tu veux ? C’est la première fois que ça m’arrive !

Léonie, nerveuse. — Eh ben ! moi aussi ! je ne perds pas la tête pour ça !

Toudoux, vidant ce qui reste d’eau dans la carafe dans le verre qu’il apporte. — Tiens ! tu sera mariée cette année !

Léonie, maussade. — Oui, ah ! tu trouves le moyen de rire, toi !

Toudoux. — C’est une facétie !

Léonie, tout en prenant le verre, avec un haussement d’épaules. — Une facétie !…

Elle boit.

Toudoux, avec sollicitude. — Là, doucement ! va doucement !

Léonie, après avoir bu, lui tendant le verre. — Merci !

Toudoux, après avoir reporté verre et carafe, revenant à Léonie. — Eh ! ben ! c’est calmé ?

Léonie, sur un ton découragé. — Oh !… Pour un moment, oui !

Toudoux. — C’est terrible !

Léonie. — Ah ! on ne s’en fait pas idée !… ça vous prend en ceinture, c’est comme si on vous écartelait !

Toudoux, un peu au-dessus de la bergère, le bras gauche appuyé sur le dossier. — Oui, oh ! je connais ça !

Léonie. — Comment tu connais ça !

Toudoux. — C’est un peu ce que j’ai éprouvé dans ma crise de coliques néphrétiques.

Léonie, avec un superbe dédain. — Ta crise de coliques néphrétiques ! Tu oses comparer ? Mais ta crise, à côté de ça, c’est rien ! c’est délicieux !

Toudoux. — Oh ! délicieux !

Léonie, sur un ton rageur. — Mais oui ! mais oui ! C’est drôle, ce malin plaisir que tu éprouves à diminuer mon mal au bénéfice du tien !

Toudoux. — Moi ?

Léonie. — Je souffre, c’est suffisant ! Laisse-moi au moins l’entière satisfaction de ma souffrance !…

Toudoux. — Oh ! moi, je veux bien, je disais ça !…

Léonie. — Oui, la vanité ! Toujours la vanité !

Toudoux. — Oh ! la vanité !

Clémence, qui, sur ces dernières répliques est entrée, venant de l’office, avec un morceau de roquefort sur une assiette, se dirigeant vers le buffet. — Monsieur a fini avec le macaroni ?

Toudoux… Ah ! oui, j’ai fini !… sûr, que j’ai fini !… Qu’est-ce que vous apportez-là ?