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Colette rayonna. La campagne lui parut soudain l’objet de tous ses vœux et elle se réjouit follement d’y aller.

Quand, le lendemain, elle fit le trajet avec Marcelle, celle-ci remarqua l’épanouissement de toute sa personne.

— Décidément, tu me caches quelque chose, lui dit-elle, avec dépit. Ce n’est pas la peine vraiment de se connaître depuis vingt ans pour avoir des secrets l’une pour l’autre.

— Je n’ai pas de secret.

— Allons donc ! Je vois bien à ta manière d’être, qu’il s’est passé un événement. Je ne tiens pas à le savoir, mais j’ai le droit de noter une transformation dans ton attitude ! Tu étais d’une gaîté à l’atelier !…

Colette se tut. Elle ne se doutait pas que sa joie s’extériorisait autant.

Elle se demandait si elle ne révélerait pas à Marcelle la cause de sa gaîté, mais elle craignait trop les réactions de sa compagne. Il lui semblait d’ailleurs que c’était encore un peu tôt. Elle s’évertua à trouver un sujet banal, tout en modérant les élans qui la dominaient.

— Tu es tellement absorbée dans tes songeries, dit soudain Marcelle, que nous voici à mardi sans que tu m’aies demandé des nouvelles de mon dimanche.

Colette s’écria :

— C’est par discrétion… Je ne voulais pas te questionner, jugeant que si tu avais quelque chose d’agréable à me raconter, tu me ferais le plaisir de m’en informer…

— Bon, je t’excuse… Je me suis royalement ennuyée. Les deux perruches étaient à tuer… des chipies à manies… Ma tante était plate comme un tapis et répondait Amen à tout ce qu’elles disaient… J’avais envie de la battre… Pour ma part, j’ai subi un interrogatoire qui a failli me rendre insolente, mais je me suis tenue en pensant qu’il ne fallait pas compromettre l’héritage ! Ces demoiselles m’ont demandé si j’avais une bonne conduite !

— Oh !

— Oui, ma petite chère… J’ai eu envie de répondre : « Et vous ? » puis il a fallu que je dise si j’allais à la messe régulièrement… J’ai eu ma récompense : un vieux collet d’hermine, jaune comme du citron… Je l’ai accepté en me disant que j’en ferais une doublure. Nous avons eu un dîner excellent, et ma tante s’est régalée… Moi, je suis tellement habituée à mal manger que j’ai perdu toute notion du bon… Cependant, tout m’a semblé délicieux… Ce que je ne puis dénier à ces confortables célibataires, c’est qu’elles sont encore de celles qui dînent le soir avec viande et vin… Pas de ré-