Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Nos deux savants hommes, en blâmant Tom d’un commun accord, faisoient de concert l’éloge de Blifil. Dévoiler la vérité, c’étoit, selon le théologien, remplir le devoir de tout homme religieux ; selon le philosophe, c’étoit se conformer à la règle immuable de la justice, et à l’éternelle convenance des choses.

Tous ces beaux raisonnements produisirent peu d’effet sur M. Allworthy, et ne purent le décider à consentir au châtiment de Jones. Il y avoit dans son cœur quelque chose à quoi l’inébranlable constance de cet enfant, répondoit beaucoup mieux que la religion de Thwackum et la vertu de Square. Il défendit donc au premier de le punir pour ce qui s’étoit passé ; le pédagogue obéit à regret, et murmura entre ses dents que c’étoit un enfant perdu.

Le bon gentilhomme se montra plus rigoureux envers son garde. Il le fit venir, et, après une dure réprimande, il lui paya ses gages et le renvoya. M. Allworthy pensoit avec raison, qu’il y a une grande différence entre le mensonge qu’on fait pour se justifier soi-même, et celui qu’on ne se permet que pour excuser autrui. Ce qui le rendoit surtout inflexible, c’étoit la bassesse avec laquelle le garde avoit souffert que Tom subît, pour l’amour de lui, une punition cruelle, dont il auroit dû le préserver par l’aveu de sa propre faute.