Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/193

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meilleur que de donner, en toute circonstance, à son fils, la préférence sur Tom. Persuadés que l’affection de M. Allworthy pour l’enfant trouvé lui étoit fort désagréable, ils ne doutoient pas qu’elle ne leur sût gré des humiliations et des dégoûts, dont ils l’abreuvoient à l’envi l’un de l’autre. Sa haine apparente pour Tom, leur étoit un garant de sa reconnoissance pour ceux qui le maltraitoient. En cela Thwackum avoit un avantage incontestable. Square ne faisoit que déchirer la réputation du pauvre Tom ; Thwackum avoit le privilége d’entamer sa peau. Il regardoit chaque coup de fouet qu’il lui appliquoit, comme un compliment adressé à sa maîtresse ; en sorte qu’il pouvoit répéter, avec justesse, ce vieil adage des correcteurs de collége, castigo te, non quod odio habeam, sed quod amem ; je te châtie, non par haine, mais par amour ; adage qu’il avoit sans cesse à la bouche, ou, pour mieux dire, au bout des doigts.

Telle étoit la principale cause de la conformité d’opinion de ces deux hommes sur leurs élèves. Hors ce point, ils ne se montroient d’accord en rien. Outre qu’ils professoient des principes opposés, ils soupçonnoient depuis long-temps leurs mutuels desseins, et nourrissoient l’un pour l’autre une haine profonde. Les succès qu’ils obtenoient tour à tour l’augmentoient encore.