Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/303

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de mauvaise intention… Je vous supplie donc de ne pas vous offenser de ce que je vais vous dire.

— Parle, parle, Honora, explique-toi sur-le-champ.

— Eh bien ! mademoiselle, un jour de la semaine dernière, M. Jones vint me trouver dans la chambre où je travaillois. Le manchon de mademoiselle, ce manchon qu’elle me donna hier matin, étoit sur une chaise à côté de moi. Il le prit et passa ses mains dedans. « Finissez donc, monsieur Jones, lui dis-je, vous allez chiffonner le manchon de mademoiselle. » Mais il y laissa toujours ses mains, et puis il le baisa… Oh ! quel baiser ! jamais je n’en vis donner un pareil.

— Il ignoroit sans doute que ce manchon fût à moi ?

— C’est ce que mademoiselle saura tout à l’heure. Il le baisa donc, le rebaisa, et s’écria que c’étoit le plus joli manchon du monde. « Eh ! monsieur, lui dis-je, vous l’avez vu cent fois au bras de ma maîtresse. — Oui, mistress Honora, reprit-il, mais en présence de votre charmante maîtresse, peut-on rien admirer qu’elle ? » Ce n’est pas tout encore… Je supplie mademoiselle de ne pas s’offenser ; car il n’avoit sûrement pas de mauvaise intention. Un jour que mademoiselle jouoit du clavecin devant mon maître, M. Jones étoit assis dans la pièce voisine. Il avoit l’air triste et rêveur.