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le favori de la nature et de la fortune ; car toutes deux sembloient s’être disputé à qui le traiteroit le mieux. Quelques personnes seront tentées de croire que la nature, prodigue envers lui de mille dons, étoit sortie victorieuse de la lutte ; mais la fortune, en lui accordant le seul qui fût à sa disposition, s’étoit montrée si libérale, que d’autres regarderont cet unique don comme supérieur à tous ceux de sa rivale. Il tenoit de la nature une figure agréable, une constitution robuste, un esprit droit, une ame bienfaisante ; il devoit à la fortune un des plus riches domaines du comté.

Ce gentilhomme avoit épousé dans sa jeunesse une femme belle et vertueuse qu’il aimoit éperdûment. Il en avoit eu trois enfants qui étoient morts en bas âge ; et cinq ans avant le moment où commence notre histoire il perdit aussi cette épouse chérie. Il supporta une si cruelle épreuve en homme courageux et sensé, quoiqu’à dire vrai, il s’exprimât souvent sur ce sujet d’une manière assez bizarre. Il disoit, par exemple, qu’il se croyoit toujours marié, que sa femme étoit seulement partie un peu avant lui pour un voyage qu’il ne pouvoit manquer de faire tôt ou tard après elle, et qu’il étoit sûr de la retrouver dans un lieu où il lui seroit à jamais réuni : discours qui portoient beaucoup de ses voisins à