Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 1.djvu/71

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timents, et ne manquoit pas, pour l’ordinaire, d’y conformer les siens. Toutefois, en cette circonstance, elle crut pouvoir s’écarter, sans danger, de sa circonspection accoutumée ; et nous pensons que l’équitable lecteur l’accusera moins d’imprudence, qu’il n’admirera sa merveilleuse promptitude à revirer de bord, quand elle s’aperçut qu’elle avoit fait fausse route.

« En effet, dit l’habile et souple gouvernante, je ne suis pas moins frappée que mademoiselle du courage de cette fille. Si, comme mademoiselle le suppose, elle a été abusée par quelque scélérat, la pauvre malheureuse est bien à plaindre. Assurément, comme le dit mademoiselle, elle a toujours passé pour une bonne et honnête personne qui ne tiroit point vanité de sa figure, comme certaines péronnelles du voisinage. »

« Vous avez raison, Déborah, reprit miss Bridget ; si Jenny étoit une de ces dévergondées dont le nombre est malheureusement trop grand dans la paroisse, je blâmerois l’indulgence de mon frère à son égard. J’aperçus l’autre jour, à l’église, deux filles de fermiers, la gorge nue ; j’en fus indignée. Quand les filles tendent ainsi des piéges aux hommes, elles méritent bien ce qui leur arrive. Je déteste de pareilles créatures. Il vaudroit mieux pour elles que la petite vérole les eût défigurées dès le berceau. Quant à Jenny, je n’ai