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d’horreur pour les esprits implacables, que le capitaine feignit de céder à la raison, et de se réconcilier avec le docteur.

Quant à la nouvelle mariée, elle étoit encore, suivant le proverbe, dans la lune de miel. Idolâtre de son époux, il lui sembloit qu’il n’avoit jamais tort. Elle partageoit tous ses sentiments. Haïssoit-il quelqu’un, c’étoit pour elle un motif suffisant de le haïr aussi.

Le capitaine, ainsi qu’on vient de le dire, ne s’étoit réconcilié qu’en apparence avec son frère. Il lui gardoit toujours rancune dans le fond de l’ame, et trouvoit mille occasions de lui donner secrètement des marques de sa malveillance. Le pauvre docteur, à qui le séjour du château devint insupportable, aima mieux s’exposer à braver de nouveau dans le monde les inconvénients de la pauvreté, que de souffrir plus long-temps l’ingratitude et les outrages d’un frère qu’il avoit si bien servi.

Il forma un jour le dessein d’ouvrir son cœur à M. Allworthy ; mais il n’eut pas la force de faire un aveu qui devoit laisser à sa charge une si grande part du crime. Il sentit, en outre, qu’en peignant son frère de noires couleurs, il aggraveroit d’autant son propre tort, et n’auroit que plus de sujet de redouter la colère de l’écuyer.

Il prétexta donc une affaire qui l’obligeoit de