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CHAPITRE XIV.

elle. Tandis que je m’efforçois de lui inculquer des maximes de prudence, vous l’excitiez à mépriser mes leçons. Les Angloises, mon frère, ne sont point, grace à Dieu, des esclaves : on ne nous enferme pas comme les Espagnoles et les Italiennes. Nous avons autant de droits que vous à la liberté : c’est par la raison, par la persuasion seule, et non par la force, qu’il faut nous gouverner. J’ai vu le monde, mon frère, et je sais de quels moyens il convient d’user envers nous. Sans votre folie, j’aurois obtenu de ma nièce qu’elle conformât sa conduite aux règles de sagesse et de modestie, que je lui ai constamment enseignées.

— Allons, la chose est claire, j’ai toujours tort.

— Non, mon frère, non, vous n’avez tort que quand vous vous mêlez de choses qui passent votre portée. Vous conviendrez que je connois le monde mieux que vous. Il est à regretter pour ma nièce qu’elle ne soit pas restée sous ma tutelle. Sa tête s’est remplie chez vous de romanesques et folles idées d’amour.

— Vous ne pensez pas, j’espère, que ce soit de moi qu’elle les tienne ?

— Peu s’en faut, mon frère, que votre stupidité, comme dit le grand Milton, ne lasse ma patience[1].

  1. Celle du lecteur sera mise à rude épreuve s’il cherche cela chez Milton.