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effrayèrent Susanne ; elle hésita d’abord à répondre. Le gentilhomme, avec un redoublement de vivacité, la conjura de ne lui rien cacher. « J’ai perdu ma femme, dit-il, et je la cherche. Sur mon ame, peu s’en est fallu que je ne l’aie déjà rattrapée en deux ou trois endroits. Elle venoit d’en partir, au moment même où j’y arrivois. Si elle est ici, conduisez-moi, sans bruit, à sa chambre. Si elle n’y est plus, indiquez-moi le chemin qu’elle a pris, et sur mon ame, votre fortune est faite. » En achevant ces mots, il fit briller aux yeux de Susanne une poignée de guinées, dont la vue auroit pu séduire des personnes d’une condition fort supérieure à celle de cette pauvre fille, et les engager à commettre une action beaucoup plus répréhensible.

Susanne, d’après ce qu’elle avoit entendu dire dans la cuisine, sur le compte de mistress Waters, ne douta pas un instant qu’elle ne fût précisément la brebis égarée que réclamoit le légitime propriétaire. Elle en conclut, avec grande apparence de raison, qu’il lui étoit impossible de gagner jamais de l’argent d’une manière plus honnête, qu’en rendant une femme à son mari. Elle ne se fit donc aucun scrupule d’assurer le gentilhomme, que la dame qu’il cherchoit étoit dans la maison ; et se laissant séduire par ses belles