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que doit garder un historien, nous oblige de raconter ce qui nous a été donné pour certain. On rapporte que le cheval du guide, charmé de la voix de Sophie, s’arrêta tout court et montra de la répugnance à se porter en avant.

Il se peut néanmoins que le fait soit vrai, sans être aussi merveilleux qu’on l’a représenté : en effet, une cause naturelle semble propre à l’expliquer. Le guide, à l’instant où Sophie lui adressa la parole, suspendit l’action continue de son talon droit contre les flancs du cheval (car, comme Hudibras, il n’avoit qu’un éperon) ; et, selon toute apparence, cette interruption momentanée occasionna l’immobilité de l’animal, qui étoit de sa nature fort sujet à s’arrêter.

Mais si le cheval parut sensible à la voix de Sophie, il n’en fut pas de même du cavalier. Il répondit avec rudesse que son maître lui avoit prescrit la route qu’il devoit suivre, et que s’il en changeoit il s’exposeroit à perdre sa place.

Sophie voyant que ses prières étoient inutiles, employa un charme plus puissant que celui de sa voix, un charme capable d’opérer des prodiges, un charme auquel les siècles modernes ont attribué cette force irrésistible que les anciens prêtoient à la parfaite éloquence : en un mot, elle lui promit une récompense qui surpasseroit son attente.