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ami ; mais je lui ai des obligations, de grandes obligations. Puisque vous en savez si long, je ne vous dissimulerai rien. C’est à elle seule, peut-être, que je dois de n’avoir pas manqué de pain jusqu’à ce jour. Comment l’abandonner après cela ? et cependant il faut que je l’abandonne, ou que, par une lâche trahison, je lui sacrifie une jeune personne infiniment plus digne qu’elle de mon affection, une jeune personne, mon cher Nightingale, pour qui je brûle d’un amour difficile à concevoir. Quel parti prendre ? Je crains d’en perdre la tête.

— Et cette autre nymphe, je vous prie, est-ce une honnête femme ?

— Honnête ? ah jamais le souffle de la calomnie n’a osé ternir sa réputation. Le ciel le plus serein, le ruisseau le plus limpide est moins pur que sa vertu. Elle réunit toutes les perfections de l’ame et du corps. C’est la plus belle créature de l’univers : mais elle possède des qualités si nobles, si rares, que bien que son image soit toujours présente à mon esprit, je ne pense à sa beauté que quand je la vois.

— Et pouvez-vous, mon cher ami, avec une telle passion dans le cœur, hésiter un moment à quitter une…

— Arrêtez, ne l’outragez pas davantage. Je hais jusqu’à l’idée de l’ingratitude.

— Bah ! vous n’êtes pas le premier qui lui ait