Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 4.djvu/177

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terriblement changé depuis que je ne l’ai vu. Non sum qualis eram[1]. J’ai eu bien des peines dans ma vie, et rien ne change tant un homme que le chagrin. J’ai ouï dire qu’il est capable de vous blanchir les cheveux en une nuit. À la fin pourtant Georges m’a reconnu ; car nous sommes du même âge, et nous avons été ensemble à l’école. Georges étoit, il m’en souvient, un grand âne ; mais qu’importe ? tous les hommes ne prospèrent pas dans le monde, à proportion de leur science. J’ai de bonnes raisons pour parler ainsi ; mais il en sera de même encore dans mille ans. Eh bien ! monsieur, où en étois-je ? Bon ! m’y voici. Nous ne nous sommes pas plus tôt reconnus, qu’après nous être serré cordialement la main, nous avons été boire ensemble un pot de bière au cabaret ; et par bonheur la bière qu’on nous a servie s’est trouvée la meilleure que j’aie bue depuis que je suis dans cette ville : maintenant, monsieur, j’arrive au fait. À peine vous ai-je nommé, et lui ai-je dit que nous étions venus de compagnie à Londres, et que nous ne nous étions pas quittés depuis, un seul instant, il a demandé un autre pot de bière, en jurant qu’il vouloit boire à votre santé : et en effet, il a bu de si grand cœur, que j’ai été ravi de voir qu’il y eût encore dans le monde tant de reconnoissance. Ce second pot

  1. Je ne suis plus tel que j’étois.