Page:Fielding - Tom Jones ou Histoire d'un enfant trouvé, tome 4.djvu/83

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à faire. Ouvrez les yeux à la raison, Jacques, et ce mariage vous paroîtra si déraisonnable, si insensé, que je n’aurai besoin d’employer aucun argument pour vous en détourner.

— Quoi, monsieur, y a-t-il quelque différence entre une chose déjà faite et celle que l’honneur commande de faire ?

— Bah, l’honneur ! c’est une invention du monde, et le monde, dont il est l’ouvrage, le modifie et le transforme à sa guise. Vous savez le peu d’importance qu’on attache à ces manquements de foi. Les plus iniques font tout au plus la surprise et l’entretien d’un jour. Il n’y a pas de père qui en soit moins disposé à vous accorder sa fille, ni de jeune personne qui en ait plus de répugnance à vous donner sa main. L’honneur n’est point intéressé dans ces sortes d’affaires.

— Pardonnez-moi, mon cher oncle, je ne puis être de votre avis. Non-seulement l’honneur, mais la conscience, mais l’humanité y sont intéressés. Si je manquois aujourd’hui de parole à cette jeune fille, je suis convaincu qu’elle en mourroit de douleur. Je me regarderois comme son meurtrier, oui comme son meurtrier ; et ne seroit-ce pas commettre le plus cruel des meurtres, que de lui briser le cœur ?

— Lui briser le cœur, dites-vous ? Non, non,