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n’en est pas moins fort curieux. Jacques Coene est l’enlumineur du Livre d’heures du maréchal Boucicaut (coll. André) ; il a collaboré en outre à l’illustration du célèbre Livre des merveilles du monde, conservé à la Bibliothèque nationale de Paris (no 2810 — fo 16). Il compose pour ses personnages un décor où il introduit l’air, l’espace, la lumière. Plus de fond conventionnel ; pour parler comme M. Durrieu, « il crève la toile du fond ». L’une des illustrations du Livre d’heures du maréchal Boucicaut représente les jardins où le « vieux de la montagne, » Hassan, chef des Haschichins, transportait ses guerriers tout endormis, « pour qu’au réveil ils vissent des fleurs, des festins et des femmes »[1]. On voit un enclos naïf entouré de murailles blanches, planté de trois cèdres. Au pied d’une colline — le Liban ? — deux couples font penser aux réunions galantes du Triomphe de la Mort. Hassan vient de franchir la porte du jardin d’amour et regarde ses soldats émerveillés qui demain se réveilleront dans leurs dures casernes. C’est en récit de croisé revu par Boccace. L’empreinte italienne est sensible ; des détails orientaux dans les costumes disent le souci nouveau de la couleur locale ; arbres, collines, ciel, herbes, muraille sont les éléments d’un décor ingénu où s’éveille le paysage moderne.

Haincelin de Hagenau[2] est plus puissant et plus varié. On aurait assurément quelque peine à faire de lui un flamand authentique. Son prénom Haincelin est la francisation du diminutif allemand Hansslein, petit Hans. C’est un septentrional qui sent profondément le charme de la nature et de la vie familière, un conteur plein d’humour et de vérité, parent de l’imagier de Haekendover. Il dessine des animaux avec l’esprit de Gentile da Fabriano et de Pisanello ; le paysage s’agrandit encore et les scènes qu’il y place sont de plus en plus vécues. Un manuscrit de son atelier conservé à la Bibliothèque nationale (no 616) nous montre, ici une Garenne de lapins sur le flanc d’une colline rocheuse que surmontent un château, une église, un moulin, — là un Repas de chasseurs, très animé, très ordonné, très observé, où les gentilshommes s’entretiennent noblement, où les valets à d’autres tables boivent et mangent rustrement, où les chevaux tendent le col avec impatience, où les chiens sont bien des chiens de chasse, où les arbres sont d’un dessin qui s’individualise.

On ne sait rien de ce beau peintre de genre, ancêtre des petits flamands et des petits hollandais, sinon qu’il était fixé à Paris dès l’année 1401.

  1. Maurice Barrès.
  2. Cf. Durrieu. Revue de l’Art, art. cit. 1904