Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/124

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grande tradition giottesque. L’Italie aurait autant de droit à la revendiquer que la France. Il est aussi près des peintres toscans du trecento que des miniaturistes parisiens du XIVe siècle.

Voyez la Présentation au Temple ; de grandes draperies classiques habillent noblement les personnages ; les visages simples, tout en se diversifiant, gardent un même cachet de beauté sereine et synthétique ; l’idéal giottesque s’est exprimé ici avec une rare bonheur. Et l’on peut bien dire que dans le très suave et très sobre Couronnement de la Vierge, le même idéal annonce le génie de Fra Angelico. Ce qui est plus spécialement septentrional c’est le décor, c’est par exemple dans la Fuite en Égypte, ce fleuve longeant une ville fortifiée, entourant une île où se dresse un burg, et glissant entre de hautes roches qui semblent surveiller le passage des petits bateaux. Composition encore ingénue, mais plus complète déjà que celles de Jacques Coene, et qui revue, précisée par les frères de Limbourg, aboutira au paysage des frères Van Eyck.

Le rôle des trois frères de Limbourg est plus décisif encore dans l’histoire de la peinture moderne que celui de Jacques Coene, Haincelin de Haguenau et Jacquemart de Hesdin. Leur chef-d’œuvre : Les Très riches heures du duc de Berry, conservées à Chantilly, où M. Paul Mantz voit « un monument de l’art français » est bien plutôt, comme l’écrit M. Durrieu, « la pierre angulaire du magistral édifice de la peinture flamande du XVe siècle ». Ces trois illustres précurseurs ne seraient autres que les frères Manuel ou Malouel, neveux du gueldrois Jehan Malouel, ceux-là même qu’on retint prisonniers à Bruxelles, — du moins Hermann et Jean. La Gueldre et le Limbourg se touchaient et limitaient à l’est cette région mosane où s’élevaient Maestricht dont Wolfram d’Eschenbach avait autrefois chanté les peintres, Hasselt qui avait envoyé un maître Jean à la Cour de Louis de Mâle, et Maesyck — ou Maesseyck, — la patrie probable des peintres de l’Agneau mystique. Les frères de Limbourg venaient donc d’une contrée particulièrement féconde en artistes.

À dix-huit ans, Pol, Jannequin et Hermann entrèrent comme apprentis dans la boutique d’un orfèvre, à Paris, et l’on sait que c’est également chez des orfèvres que se fit l’éducation des maîtres italiens du quattrocento. Les renseignements sur la carrière des trois maîtres limbourgeois deviennent ensuite extrêmement rares ; entrés au service de Jean de