Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/14

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oserait ainsi parler ? Les cathédrales ne sont « que vie et mouvements ». L’Église fut « l’arche qui accueille toute créature. »[1] Mais, pour l’homme médiéval, l’univers visible était un symbole ; à travers l’enveloppe des choses, à travers leur réalité, on voulait atteindre l’enseignement de Dieu, car « toute créature, dit Honorius d’Autun, est l’ombre de la vérité et de la vie ». Une forme n’avait de valeur que si elle revêtait un sens symbolique ; elle était l’image d’une pensée ; et l’idée que nous nous faisons des choses avait pour le moyen âge plus de réalité et d’intérêt que les choses mêmes. L’art se nourrissait de ces abstractions à en mourir ; c’est contre elles que dut réagir l’esprit révolutionnaire des maîtres septentrionaux.

Les Italiens de bonne heure aussi — Dante, Pétrarque, Boccace pour nous en tenir aux illustres — avaient connu l’amour de la nature. Giotto peignant les moines franciscains avec leurs humbles vêtements, avait montré aux artistes l’immense domaine de l’humanité réelle. Il ouvrait les voies ; l’Italie est bien, quoi qu’on pense et dise, la fille ainée de la Renaissance. Peintre gothique, Giotto possède en puissance les forces du génie moderne. Devant ses œuvres, Michel-Ange disait : « On ne peut rien voir qui approche davantage de la nature. » Et pourtant, le peintre de l’Arena « n’avait affranchi l’art qu’à demi. »[2] Sa sublimité, considérée en soi, est sans tache ; mais l’histoire de l’art montre qu’elle imposa des formules systématiques et abstraites à toute une école, plus préoccupée de copier le maître que d’observer le modèle humain. Éternel effet du génie d’ailleurs ; éternelle erreur des épigones… Les giottesques abusèrent des recettes géométriques ; les chefs-d’œuvre, comme le Triomphe de la Mort, du Campo Santo de Pise, où la nature est vue à travers les inspirations de Boccace et de Pétrarque et le Triomphe de saint Thomas d’Aquin, de la Chapelle des Espagnols, ordonné par la plus rigoureuse des symétries, n’arrêtèrent point la décadence de l’école. Il fallut, si l’on peut dire, un coup de fouet pour ranimer les énergies. Il vint du Nord. Les maîtres septentrionaux apportèrent à l’art la jeunesse attendue.

Ils étaient plus libres que les artistes du Midi ; ils n’étaient point fascinés par les modèles antiques ; ils ne croyaient point que la nature est belle exclusivement dans le calme et l’harmonie des lignes rythmiques ; ils n’ignoraient sans doute point qu’elle est grandiose dans les heures de paix, mais ils la croyaient tout aussi captivante dans les minutes drama-

  1. E. Male : L’Art religieux du XIIIe siècle en France, p. 44.
  2. Courajod : Leçons professées à l’École du Louvre, vol. II, p. 203.