Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/168

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Eyck donnera dans la suite aux mains de ses autres modèles ; et dans la précision textuelle de la ressemblance, le portrait du chancelier manque encore de vie propre et d’âme. Certes le tableau n’a point la valeur de la Madone Van der Paele. Mais sous le désagréable vernis jaunâtre dont il fut couvert de nos temps, quel coloris précieux et ruisselant dans ces marbres jaspés et veinés, dans ces carreaux ingénieusement dessinés, ces brocarts profonds s’opposant aux tons bleus du prie-Dieu, dans ces ailes pourpres et azurées de l’ange, dans cette fine lumière que tamisent les vitraux (lenticulaires comme ceux de St-Pétersbourg) — enfin dans cette atmosphère limpide, fraîche et joyeuse où fuit le plus merveilleux des paysages !

Le maître transposait dans son génie le goût de la polychromie architecturale et des orfèvreries si développé chez les Flamands d’alors ; souvenons-nous que Melchior Broederlam dessinait des carreaux « peints et jolis », des modèles de bijoux, et sans doute Jean Van Eyck eut pu en faire autant, s’il ne l’a fait. En outre, dans cette Vierge an Donateur, il donnait au paysage ses formules définitives de mise en page.

Il ne reste plus au maître qu’une courte étape à franchir pour peindre les premiers et les plus beaux portraits modernes. Mais dès ce moment il est sans rival.

Et le duc Philippe et sa femme Bonne d’Artois savent ce que vaut un tel peintre.

Le musée de Berlin possède un portrait portant cette inscription : Dame Bonne d’Artois, la duchesse de Bourgogne. Il est dans la manière de Jean. La duchesse, il est vrai, ressemble d’une manière frappante à la femme de Giovanni Arnoulfini, au point de se demander si la soi-disant Bonne d’Artois n’est pas tout simplement Jeanne Chenany, l’épouse du célèbre marchand lucquois, baptisée duchesse par quelque pasticheur fantaisiste.[1] Il n’en est pas moins certain que Jean travaillait activement pour le duc. On apprend par les comptes de 1427-28, que par ordre de Monseigneur, l’artiste pendant deux ans — de la Saint-Jean 1426 à la Saint-Jean 1428 — avait habité une maison dont le duc paya le loyer.[2] Il n’est pas impossible à tout prendre que Jean ait exécuté à ce moment la Vierge du Louvre.

Les mêmes comptes de 1427-28 mentionnent les payements faits au maître pour services rendus ou à rendre comme peintre, ainsi que « pour certains voyaiges secrez et pour le voyaige qu’il fait présentement avec

  1. M. Durand-Gréville tiendrait plutôt ce portrait pour une copie d’après Hubert. Les Arts anciens de Flandre., 1905, p. 33.
  2. De Laborde op. cit. t. I. p. 255.