Page:Fierens-Gevaert, La renaissance septentrionale - 1905.djvu/189

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qui fut donnée à Madame par don Diego, les armes duquel sont en la couverture du dit tableau ! Fait du painctre Johannès Van Eyck. » Après quoi « Hernoul le Fin » orna la galerie de Marie de Hongrie, sœur de Charles-Quint, laquelle avait succédé à Marguerite. Van Mander pour expliquer la présence du chef-d’œuvre dans la collection de la gouvernante accueille une explication romanesque : « Jean avait peint à l’huile, dans un même tableau, le portrait d’un homme et d’une femme se tenant par la main droite, comme unis par le mariage et c’est la fidélité qui préside à leur union. Ce petit tableau fut, plus tard trouvé dans la possession d’un barbier, à Bruges, lequel je crois en avait hérité. Madame Marie, tante du roi Philippe d’Espagne, et veuve du roi Louis de Hongrie, qui périt en combattant les Turcs, eut l’occasion de le voir, et cette princesse, passionnée pour les arts, fut ravie de l’œuvre, au point que pour l’obtenir, elle donna au barbier un poste qui rapportait annuellement cent florins. »[1] La légende de Van Mander nous montre tout au moins le prix que l’on attachait durant le XVIe siècle aux œuvres de Jean. Des Pays-Bas le tableau fut transporté en Espagne, où on le trouve en 1789 au palais de Charles III. Comment est-il ensuite revenu dans son pays d’origine ? On ne sait. Toujours est-il qu’en 1815 le général Hay, blessé à Waterloo, le vit dans l’appartement qu’il occupait à Bruxelles et l’acheta. En 1842 le tableau entrait à la National Gallery.

Il nous introduit dans la chambre nuptiale des époux Arnoulfini. Le mari vêtu d’une cloque fendue des deux côtés et bordée de fourrure, coiffé d’un feutre indescriptible — et qui devait lui valoir bien de la considération chez les bons Brugeois — regarde devant lui d’un œil noyé et rêveur. Sa femme, debout à sa gauche, ressemble à la femme de Jean Van Eyck dont le portrait est à Bruges. On a pensé qu’elles étaient sœurs. Elles se ressemblent, mais surtout par l’arrangement de la tête. Toutes deux ont les tempes agrémentées de cornes rembourrées et le front couvert d’une huve empesée. Jeanne Arnoulfini a le visage plus rond que la femme de Jean Van Eyck. Tournée vers son mari elle lui abandonne sa main. Son regard semble se dérober aux curiosités du spectateur. De la main gauche elle relève l’immense traîne de sa robe verte garnie d’hermine. Son habit de « haute couleur » est un habit de fête. Un sourire confiant éclaire son visage. On croit que le peintre a souligné les raisons de son bonheur et que Jean Van Eyck a immortalisé l’enfant attendu avec autant de franchise que le

  1. Le Livre des Peintres. Trad. Hymans p. 40.