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qu’elle est laide. Ils exagèrent. Elle est fort distinguée, d’une distinction simple, noble, un peu froide si l’on veut, mais de cette froideur particulière aux femmes de Flandre et qui est plutôt de la timidité. Elle est en costume de cérémonie ; des truffauds cornus et rembourrés surgissent aux tempes, emprisonnent les cheveux dans la crépine et soutiennent le couvre-chef qui retombe sur la robe pourpre bordée de petit-gris. Les lèvres sont un peu minces il est vrai, — lèvres de femme avisée et de bon conseil — mais les traits sont fins, joliment dessinés, réguliers ; le front énergique s’équilibre avec le petit menton volontaire ; la main est exquise. Je ne vois pas là de quoi gémir. Et jamais le maître ne peignit avec plus d’âme ; jamais il ne poussa plus loin la beauté de l’exécution ; son pinceau a de merveilleuses caresses pour traduire cet épiderme transparent et frais ; l’oreille baigne dans une ombre douce et tiède ; les sinuosités microscopiques de la ruche qui borde la coiffe blanche sont détaillées avec une extrême finesse et jamais ne se confondent. Je ne dirai pas que Jean Van Eyck fut rarement aussi inspiré, ces mots romantiques n’ont pas de sens quand il s’agit de tels maîtres pour qui la sincérité était le commencement et la fin de l’art, — mais assurément il fut rarement plus heureux. Il arrivait au terme de sa carrière sans défaillance, sans la moindre diminution de son génie. Son bonheur dans l’art restait entier — et sans doute aussi son bonheur dans la vie. C’est avec reconnaissance j’imagine, qu’il dédia ce merveilleux ex-voto à sa jeune compagne ; et si vraiment Als ikh kan est sa devise, cette fois il pouvait l’inscrire sur le chef-d’œuvre, non seulement avec toute sa conscience d’artiste, mais aussi avec la très noble fierté que peut donner une gloire infiniment haute, pleine et pure.

Il nous reste à dire un mot des tableaux perdus de Jean Van Eyck et mentionnés par des textes. Outre le portrait de la « belle portugaloise » les inventaires de Marguerite d’Autriche mentionnaient « ung petit tableau de Nostre-Dame, du duc Philippe qui est venu à Maillardet, couvert de satin broché gris et ayant fermaulx d’argent doré et bordé de velours vert. Fait de la main de Johannès. » De Laborde signale aussi une Vierge avec Mgr de Ligne comme ayant été exécutée par « Maistre Jehan le peintre. » Divers textes nous apprennent que le grand artiste peignit aussi des tableaux de genre. Facius parle d’un Bain de Femmes qui appartenait au cardinal Ottaviano degli Ottaviani, et l’Anonyme de Morelli d’une Chasse à la