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remarques ? C’est que la lumière, c’est-à-dire l’enseignement artistique, avant comme après les invasions normandes, vient de l’antiquité, de l’Orient, des régions méridionales. Mais le naturalisme flamand est intangible et inamovible ; il faut le découvrir malgré tout et partout ; c’est ce que fait Mgr Dehaisnes ; c’est ce qu’ont fait avec lui tous nos compatriotes. Notre art roman, notre art gothique annonceraient suivant eux l’idéal naturaliste du XVe siècle.

Avouons qu’ils se sont trompés. Leur credo naturaliste a faussé leur jugement critique. J’espère démontrer dans le prochain chapitre que notre art du XIIe, du XIIIe et en grande partie du XIVe siècle est idéaliste, soit qu’il subisse des influences germaniques dans l’est du pays, soit qu’il s’imprègne du caractère français dans l’ouest et particulièrement dans les Flandres. En étudiant les œuvres conservées sur notre sol, nous constaterons que notre art n’évolue que dans le dernier quart du XIVe siècle. Mais avant d’aborder cet examen il nous faut aujourd’hui épuiser quelques considérations d’ensemble.

Nous voici donc revenu au XIVe siècle, le siècle de la Révolution. Elle est internationale. Courajod en avait bien le sentiment, mais pour préciser la pensée du grand professeur disons qu’elle est l’œuvre non seulement des Flamands, mais encore des Hollandais, des Wallons, des Italiens, — un grand nombre de « Lombards » vivaient à Paris — et, reconnaissons-le, des Français eux-mêmes. Et c’est vraiment en France que se manifestent les premiers signes du Renouveau. Comment s’en étonner ? Toutes les races chrétiennes n’avaient-elles pas été soumises à la beauté française du XIIIe siècle ? La sublime scholastique des imagiers de Chartres, de Paris, de Reims, avait été l’école indiscutée de l’art européen ; le génie de Giotto se serait lui-même enflammé au charme lumineux des miniatures parisiennes. Le prestige d’une telle école ne pouvait mourir au bout de cent ou cent cinquante ans. L’impulsion avait été trop forte. Pendant tout le XIVe siècle, Paris resta le grand foyer artistique de l’Europe septentrionale. Près de la Porte Saint-Denis — appelée Porte aux Peintres — s’alignaient les boutiques des imagiers, ouvriers d’entaillures, huchiers, peintres de retables, etc., où l’on voyait briller les statues d’apôtres enluminées et dorées, les ornements liturgiques en pierre ou en bois, les riches enseignes[1].

  1. Cf. Courajod : Leçons, vol. II, p. 16.