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époques est impossible ; plus impossible encore l’identification des monuments. Pour M. Six[1] en allant de gauche à droite on reconnaîtrait le dôme de Munster, la tour d’Utrecht (au-dessus de l’Agneau et assez exacte), la cathédrale de Cologne, avec son chœur étrangement séparé des deux clochers achevés, la grande église de Saint-Martin à Maestricht ; à l’extrémité droite (au-dessus de la théorie des Élus) une construction religieuse d’aspect fantastique, haussant une double lanterne sur un dôme surbaissé, serait inspirée par le dôme de Mayence. Puis vient une église rhénane du XIIIe siècle, Andernach ou Ruremonde. M. Six qui veut faire naître le Retable à la Cour de Guillaume de Hollande, s’étonne avec quelque satisfaction de ne trouver aucune réminiscence des édifices flamands dans cette Jérusalem des Flandres. Mais tout aussi bien que l’éminent critique hollandais reconnaît les monuments que nous venons d’énumérer, nous pouvons signaler aussi entre la soi-disant cathédrale de Cologne et l’étrange dôme de Mayence, le Beffroi de Bruges, le clocher de Notre-Dame de Bruges, les tours jumelles de Saint-Barthélemy de Liège. De même avec quelque bonne volonté on reconnaîtrait la tour brugeoise du Minnewater dans le panneau des Juges et le Beffroi de Tournai dans celui des Chevaliers. Répétons toutefois qu’il est téméraire ici d’affirmer quoi que ce soit. Négligeons plutôt ces détails et considérons le large horizon où se perd notre regard. Nous sommes surpris par la réalité poétique du paysage. L’espace est conquis ; le peintre de l’Agneau mystique est capable de fixer un instant de l’évolution du jour et le ciel a la netteté d’une fraîche aurore.

Dès ce jour aussi l’art s’inonda de clartés et cette fois notre reconnaissance doit évoquer le souvenir des deux frères étroitement unis. Il serait bien hasardeux pourtant de se livrer à des considérations techniques devant ce panneau central. Le premier prophète en houppelande lilas est repeint ; de même, la Fontaine de vie est presque entièrement repeinte ; le diacre en dalmatique qui précède saint Liévin a le col de sa chasuble visiblement refait ; des repeints sont sensibles un peu partout, notamment dans les ombres des draperies ; les têtes seules restent à peu près intactes. Toutefois le premier et le second plan — les personnages à droite et à gauche de la Fontaine, l’autel et les anges — doivent être de la main de Hubert ; il y a une certaine gaucherie dans la manière de rassembler les figures en groupes épais et dans la déclivité excessive d’une pelouse dont les tonalités verdoyantes ne sont point dégradées. Quant au troisième plan — les deux théories d’Élus,

  1. Gazette des Beaux-Arts, art. cit. 1er mars 1904.