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bourguignonnes incarnées en Messire Philippe l’Asseuré, prince « curieulx d’habitz et de parures » sont ici transposées, mais encore les vertus que l’on prêtait à ce champion de la foi, tremblement et effroi des Marches infidèles. Et l’on aime à croire que c’est en songeant à quelque chevalier sans double — tel Jacques de Lalaing, « beau comme Pâris, pieux comme Enée, sage comme Ulysse le Grégeois, plein d’ire devant les ennemis comme Hector le Troyen, » — que c’est en se souvenant de quelque personnage de ce genre, irréel et vivant, que les peintres du Retable peignirent leurs jolis porteurs de cornettes et d’enseignes, archanges cuirassés et laurés, vainqueurs du bon combat contre le Démon et les Ténèbres.

Tenant bâton noueux d’une main, chapelet de l’autre, les Ermites[1] sortent du ravin où s’écoulent leurs jours retirés et contemplatifs. Saint Antoine les guide. Plus de riches habits, plus de belles parures, plus de jolis visages ; mais des barbes touffues, de longues chevelures incultes ou des crânes chauves, de grosses robes de bure, de lourdes chaussures ou des pieds nus. Et sur les visages cénobitiques, tantôt une joie douce, tantôt une ardeur profonde, tantôt l’accablement du bonheur, tantôt l’ivresse d’un mysticisme presque sauvage. Ce n’est plus la féerique cavalcade des seigneurs descendant de leurs donjons altiers ; c’est la prière et la pénitence affrontant les durs cailloux du chemin. Sainte Marie Madeleine, avec son vase de parfum, et sainte Marie l’Egyptienne suivent les Ermites ; et ce panneau, aussi bien par les effets de lumière qui plongent le groupe dans une ombre rayonnante que par la complexité et la pittoresque physionomie des vieillards barbus, fait invinciblement penser à Rembrandt.

Un géant, à longue barbe noire et lisse, jambes nues, mal enveloppé d’un manteau rouge, portant en guise de bâton de voyage un jeune tronc d’arbre, marche en tête des Pèlerins[2]. Ses compagnons sont au nombre de seize, de tous âges, de tous caractères, de toutes coulpes, animés d’un égal entrain à la suite du bon géant. Et comment brasseraient-ils mélancolie ? Un drille à jeune trogne ferme la marche, bouche bayante, yeux hilares. Ses histoires mirifiques réconfortent les pénitents ; c’est quelque Ulenspiegel gantois ou brugeois que Dieu envoya dans sa grâce à Messieurs les Pèlerins.

  1. Heremite sti, dit le vieux cadre.
  2. Le cadre cette fois porte : Pegrini sti.