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Le ballon, arrivé à la hauteur de Monceaux, resta un moment stationnaire ; il vira ensuite de bord et suivit la direction du vent. Il traversa une première fois la Seine, entre Saint-Ouen et Asnières, la passa une seconde fois non loin d’Argenteuil, et plana successivement sur Sannois, Franconville, Eau-Bonne, Saint-Leu-Taverny, Villiers et l’Île-Adam.

Après un trajet d’environ neuf lieues, en s’abaissant et s’élevant à volonté au moyen du lest qu’ils jetaient, les voyageurs descendirent à 4 heures moins un quart dans la prairie de Nesles, à neuf lieues de Paris. Robert descendit du char ; mais Charles voulut recommencer le voyage afin de procéder à quelques observations de physique. Pour atteindre à une plus grande hauteur, il repartit seul. En moins de dix minutes, il parvint à une élévation de près de 4 000 mètres. Là il se livra à de rapides observations de physique.

Une demi-heure après, le ballon redescendait doucement à deux lieues de son second point de départ. Charles fut reçu à sa descente par M. Farrer, gentilhomme anglais, qui le conduisit à son château, où il passa la nuit.

Charles a écrit une relation très-détaillée de cette ascension célèbre. Nous croyons devoir en mettre le texte sous les yeux de nos lecteurs.

« Nous avons fait précéder notre ascension de l’enlèvement d’un globe de cinq pieds huit pouces, destiné à nous faire connaître la première direction du vent et à nous frayer à peu près la route que nous allions prendre. Nous l’avons fait présenter à M. de Montgolfier, que nos amis avaient eu soin de placer dans l’enceinte autour de nous ; M. de Montgolfier coupa la corde, et le globe s’élança. Le public a compris cette allégorie simple : j’ai voulu faire entendre qu’il avait eu le bonheur de tracer la route.

Le globe échappé des mains de M. de Montgolfier s’élança dans les airs, et sembla y porter le témoignage de notre réunion ; les acclamations l’y suivaient. Pendant ce temps, nous préparions à la hâte notre fuite ; les circonstances orageuses, qui nous pressaient, nous empêchèrent de mettre à nos dispositions toute la précision que nous nous étions proposée la veille. Il nous tardait de n’être plus sur la terre. Le globe et le char en équilibre touchaient encore au sol qui nous portait ; il était une heure trois quarts. Nous jetons dix-neuf livres de lest, et nous nous élevons au milieu du silence concentré par l’émotion et la surprise de l’un et de l’autre parti.

Jamais rien n’égalera ce moment d’hilarité qui s’empara de mon existence, lorsque je sentis que je fuyais de terre ; ce n’était pas du plaisir, c’était du bonheur. Échappé aux tourments affreux de la persécution et de la calomnie, je sentis que je répondais à tout en m’élevant au-dessus de tout.

À ce sentiment moral succéda bientôt une sensation plus vive encore : l’admiration du majestueux spectacle qui s’offrait à nous. De quelque côté que nous abaissassions nos regards, tout était têtes ; au-dessus de nous, un ciel sans nuage ; dans le lointain l’aspect le plus délicieux. « Oh ! mon ami, disais-je à M. Robert, quel est notre bonheur ! J’ignore dans quelle disposition nous laissons la terre ; mais comme le ciel est pour nous ! quelle sérénité ! quelle scène ravissante ! Que ne puis-je tenir ici le dernier de nos détracteurs, et lui dire : Regarde, malheureux, tout ce qu’on perd à arrêter le progrès des sciences ! »

Tandis que nous nous élevions progressivement par un mouvement accéléré, nous nous mîmes à agiter dans l’air nos banderoles en signe d’allégresse, et afin de rendre la sécurité à ceux qui prenaient intérêt à notre sort ; pendant ce temps, j’observais toujours le baromètre. M. Robert faisait l’inventaire de nos richesses : nos amis avaient lesté notre char, comme pour un voyage de long cours : vins de Champagne, etc., couvertures et fourrures, etc. Bon, lui dis-je, voilà de quoi jeter par la fenêtre. Il commença par lancer une couverture de laine à travers les airs ; elle s’y déploya majestueusement, et vint tomber auprès du dôme de l’Assomption.

Alors le baromètre descendit environ à vingt-six pouces ; nous avions cessé de monter, c’est-à-dire, que nous étions élevés environ à trois cents toises. C’était la hauteur à laquelle j’avais promis de nous contenir ; et, en effet, depuis ce moment jusqu’à celui où nous avons disparu aux yeux des observateurs en station, nous avons toujours composé notre marche horizontale entre vingt-six pouces de mercure et vingt-six pouces huit lignes ; ce qui s’est trouvé d’accord avec les observations de Paris.

Nous avions soin de perdre du lest à mesure que nous descendions, par la perte insensible de l’air inflammable, et nous nous élevions sensiblement à la même hauteur. Si les circonstances nous avaient permis de mettre plus de précision à ce lest, notre marche eût été presque absolument horizontale et à volonté.

Arrivés à la hauteur de Monceaux, que nous laissions un peu à gauche, nous restâmes un instant stationnaires. Notre char se retourna, et enfin nous fi-